« De tous les champs dans lesquels s'ébat la théorie littéraire, celui des genres est sans nul doute un de ceux où la confusion est la plus grande », constate Jean-Marie Schaeffer dans son essai Qu'est-ce qu'un genre littéraire, édité en 1989. Il est vrai que depuis la diffusion de la Poétique d'Aristote, proposant à la suite de Platon une taxinomie descriptive des productions littéraires de son époque et l'esquisse d'une théorisation des genres, les classifications génériques et le concept même de genre n'ont cessé de faire débat. D'abord sacralisés, institués comme vérités essentielles et intangibles, puis contestés, vilipendés, niés au nom de la liberté du génie créateur au temps du Romantisme, et récemment réhabilités par la critique, les genres ont toujours occupé une place considérable dans les horizons de création et de réception de la littérature occidentale. Mais bien que sans cesse remis en question, force est désormais de reconnaître leur validité et leur utilité vis-à-vis de l'analyse littéraire, laquelle a depuis toujours éprouvé le besoin de classer, confronter et distinguer les diverses formes de discours qui constituent notre littérature, à partir de structurations typologiques. Ainsi il paraîtrait pour le moins difficile de se priver d'outils si précieux, si problématiques soient-ils. Recouvrant de multiples catégories, soulevant de nombreuses questions théoriques, leur définition reste toutefois délicate à établir.
Le mot « genre » est couramment usité, relevant à la fois du domaine scientifique, anthropologique et esthétique. Son etymon latin « genus-generis » renvoie à l'idée d'origine, et il désignera ainsi jusqu'à la Renaissance la notion de race, d'espèce, regroupant des êtres ou des objets présentant un certain nombre de points communs. Dans son acception littéraire, le genre est assimilé à une notion de type catégoriel référençant et permettant de répertorier des textes littéraires en vertu de différents critères, selon que l'on s'attache aux aspects de forme, de contenu, d'effet, de style... Nous verrons que c'est sans doute la multiplicité et les mutations incessantes de ces grilles d'analyse, davantage que le concept de genre, qui ont suscité tant de controverses.
Instruments indispensables dans l'analyse et le balisage du vaste territoire littéraire, ils sont étroitement liés aux productions qu'ils répertorient. Mais ces rapports entre textes et genres ne vont pas de soi, ainsi que le fait remarquer le critique et philosophe Jacques Derrida dans son essai Parages (1986). Pour ce partisan et théoricien du textualisme, courant critique niant la notion d'auteur pour mieux affirmer l'autonomie du « texte », voué à l'incertitude du sens, il est évident que les catégorisations et autres tentatives d'étiquetage des productions littéraires font l'objet d'une contestation (...)
[...] Ainsi c'est à travers les genres et le cadre conventionnel qu'ils impliquent qu'on aborde la littérature. Le titre, la collection ou la quatrième de couverture nous renseignent sur l'identité de l'œuvre en question, et constituent un premier point d'entrée dans le texte. Bien que les œuvres modernes ne correspondent plus vraiment à des types clairement identifiables, et préfèrent emprunter chacune à divers styles, registres et techniques, on peut néanmoins raisonner en termes de dominantes comme le propose le linguiste Jackobson. [...]
[...] S'interrogeant sur le degré de sincérité du récit de soi, il finit par en conclure que la fiction est en définitive beaucoup plus personnelle que l'autobiographie. Ces arborescences se sont donc développées dans un double mouvement, à la fois synchronique et diachronique. Ainsi de nouvelles catégories naissent, quand d'autres disparaissent, l'épopée antique pérenne jusqu'au Moyen Age, La Chanson de Roland immortalisant les exploits de l'armée de Charlemagne, ayant visiblement cédé sa place au genre autrefois jugé vulgaire du roman, le dithyrambe grec ayant pour sa part sombré dans les nappes de l'oubli. [...]
[...] Un carcan de règles hérité d'Aristote ? Notre conception des genres littéraires doit beaucoup à la Poétique d'Aristote, ouvrage didactique écrit entre -334 et -323, lorsqu'il enseigne à Athènes. Son ouvrage se propose de traiter de l'Art poétique lui-même et de ses espèces, de l'effet propre à chacune d'entre elles Le professeur y présente une description et une dénomination des espèces de l'art poétique ce que nous entendons aujourd'hui au sens de littérature, ainsi qu'une théorie définissant les critères de l'œuvre poétique. [...]
[...] De même, il définit la fonction de toute œuvre comme devant produire un effet purificateur sur le public, non au sens médical ou thérapeutique dans lequel l'entendait Aristote, mais comme catharsis morale, visant à instruire les lecteurs ou spectateurs, et à (corriger)remodeler leur conduite. Dominique Combes remarque dans son essai sur les genres littéraires que c'est de là que vient la vocation classique de la littérature à enseigner le Bien selon l'adage utile dulci soit instruire tout en divertissant. Molière et encore après lui Beaumarchais se souviendront de cette visée moralisante imposée à leur art. [...]
[...] Ainsi à ses yeux un texte ne saurait appartenir à aucun genre le philosophe proclamant et invoquant la multiplicité et le caractère irréductible d'un texte. Cette affirmation radicale et assez polémique est cependant aussitôt nuancée, Derrida précisant que tout texte participe d'un ou plusieurs genres et allant même jusqu'à reconnaître qu' il n'y a pas de texte sans genre Il établit et admet ainsi clairement la validité et la nécessité de ces cadres de référence, mais semble perplexe, concluant qu' il y a toujours du genre et des genres mais (que) cette participation ne saurait être une appartenance Derrida semble pointer le risque inhérent à toute classification : les dangers de l'approximation, les abus qui peuvent conduire à l'enfermement arbitraire d'une œuvre et à la réduction de ses signifiés. [...]
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