Commentaire composé de l'extrait cité.
Dans la page qui précède, Rabelais a évoqué Socrate, laid à l'extérieur, mais riche de sagesse et d'intelligence à l'intérieur, à la façon des boîtes que l'on trouve chez les apothicaires : elles sont ornées de figures grotesques, mais contiennent des remèdes précieux. Il a fait allusion ensuite aux titres de ses propres ouvrages, réels (Gargantua, Pantagruel...) ou inventés (De la dignité des braguettes ...). À ce propos, il a cité le proverbe « l'habit ne fait pas le moine ».
[...] Cette fébrilité est liée au désir et implique concentration et application. B ~ Portrait du lecteur en chien La seconde question rhétorique assimile le lecteur à un chien devant son mets préféré : « Mais vîtes-vous jamais {oncques} un chien rencontrant quelque os à moelle {medulare} ? » Cette comparaison trouve son origine dans la phrase précédente avec l'exclamation « nom d'un chien {caisgne} » Alors que la phrase 5 donnait simplement à imaginer la scène d'attente fiévreuse, la 8 abonde en verbes d'action (« guette », « garde », « tient », « entame », « brise », « suce ») et en prépositions, répétées, qui introduisent les compléments circonstanciels de manière (« avec {de} quelle dévotion », « avec quelle ferveur », « avec quelle prudence », « avec quel zèle {affection} », « avec {de}quelle diligence »). [...]
[...] Gargantua, prologue (extrait) - Rabelais (1535) - La substantifique moelle « [?] 1 C'est pourquoi faut ouvrir le livre, et soigneusement peser ce qui est raconté {déduict} Lors [vous] connaîtrez que la drogue qu'il contient est de bien autre valeur que ne le promettait la boîte C'est [à]dire que les matières traitées ici ne sont pas tant folâtres comme le titre dessus le prétendait. 4 Et en supposant le cas où vous trouveriez au sens littéral des sujets assez joyeux et correspondant bien au nom, toutefois, ne faut pas en rester là, comme au chant des Sirènes, mais {ains} il faut interpréter à plus haut sens ce que, peut-être {par adventure}, vous croyiez {cuidiez} impromptu dit en gaieté de c?ur. [...]
[...] La relation que Rabelais entretient avec son lecteur est une relation ludique, qui repose sur la connivence. C ~ Le lecteur apostrophé C'est que le lecteur du XVIe siècle appartient à la même communauté que l'auteur : un humaniste à l'esprit critique qui sait lire entre les lignes. Aussi fait-il semblant de le rudoyer, quand il lui reproche une interprétation erronée de son roman, lui prêtant une naïveté qu'il n'a sans doute pas : « vous croyiez [le contenu de Gargantua] impromptu dit en gaieté de c?ur ». [...]
[...] Il doit être devant le livre comme lorsqu'il débouche un flacon : « Crochetâtes {débouchâtes}-vous jamais {oncques} une bouteille ? » On retrouvera cette assimilation du livre à un flacon au chapitre 41 (« Comment le moine fit dormir Gargantua, et de ses heures et bréviaire » : le « joyeux petit bréviaire » que Frère Jean, personnage sympathique, prend au matin est en réalité un flacon en forme livre de prières. D'autre part, on se souvient que les premiers mots du Prologue définissent le lecteur en utilisant un adjectif laudatif : « Buveurs très illustres ». [...]
[...] Ainsi, pour dénoncer les ouvrages qui ne poussent pas à la réflexion mais se contentent de faire rire facilement, Rabelais fait allusion au fameux passage de l'Odyssée (XII, 39-54 ; 165-200) où les Sirènes essaient de séduire Ulysse par leur chant. La référence a ici une fonction d'illustration. Mais Rabelais utilise volontiers philosophes et savants comme arguments d'autorité. Ainsi en va-t-il de Platon qui, à propos du chien, « déclare livre II de La République, [que c'est] la bête du monde plus philosophe » Si l'on va voir la référence (République, II, 376b), on constate que, de fait, l'adjectif est bien utilisé : « le chien manifeste un bon naturel, et vraiment philosophe ». [...]
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