Le XXe siècle est marqué par une grande variété du genre romanesque. Cependant, la littérature poétique n'a pas pour autant perdu en qualité, comme nous le prouve agréablement Francis Ponge. Auteur de nombreuses oeuvres, il nous livre, en 1961, les Pièces, troisième grande partie de son livre Le Grand Recueil. Découvrons ici Plat de poisson frits, un poème en prose qui nous transmet merveilleusement l'unicité du caractère poétique de Ponge, qui a su lever la barrière entre le mot et la chose. L'humour subtil du poème nous garantit d'emblée un riche moment. Nous ne lisons pas simplement la description d'un repas, nous dégustons un succulent plat de poissons aux côtés de l'artiste. Et pourquoi prendre la peine de s'imaginer l'ambiance marine ? Nous sommes déjà plongés en plein coeur de la Méditerranée.
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L'humour du poème pongien se base sur la surprise et sur l'originalité. Ponge joue sur les mots, nous conduit d'un côté, puis d'un autre : il nous surprend. Il intervient dans des répliques amusantes, placées entre parenthèses : "(comment pourrions-nous dire encore ?)". Il implique son lecteur dans l'analyse du plat de poissons ; il lui demande de l'aide pour expliciter le plaisir indicible qu'il ressent face au mets. Ses élans d'enthousiasme se traduisent par des phrases exclamatives : "Non, c'est trop bon !". Il apprécie le moment et la phrase s'en ressent, notamment par le langage : "ça fait comme une boulette élastique", qui prend des allures enfantines liées au plaisir puéril éprouvé.
Les jeux verbaux et sonores caractérisent tout particulièrement le style poétique de Francis Ponge : par exemple, "C'est alors" et "Sète alors", calembour évoquant un grand port méditerranéen, Sète. Il existe un parallélisme de construction entre le dixième vers et le vers d'exposition. "Goût, vue, ouïes, odaurades" (...)
[...] Entre son mets de poisson et la mer, Ponge est heureux. III. L'ambiance marine La dégustation du poisson est certes le thème prédominant du poème, mais on découvre aussi le goût de l'auteur pour la Méditerranée, à travers le rôle majeur que joue le cadre marin dans son extase momentanée. La journée est ensoleillée : jour de soleil». Il y a du vent : voilure claque». Nous sommes dans un «petit navire» sur «les flots». L'instant relève d'un véritable cliché, d'une carte postale, comme en témoigne la présence du champ lexical de la photographie : «pellicule», «plaque», «instantané», «révélée». [...]
[...] Arêtes menaçantes, elles sont un obstacle à la dégustation. Mais comme la phrase le laisse entendre, le poisson sera vaincu et notre narrateur vainqueur. Il en a tellement envie, de son poisson. Pour obtenir ce somptueux repas, il est prêt à tout. Ne semble-t-il pas divin ce plat de poissons, illuminé, jour de soleil sur la nappe». Le repas est arrivé et est prêt à être consommé : «instantané». Tous les sens de l'auteur vont alors être stimulés. Il va goûter : «savoureux», «déguster». [...]
[...] Conclusion Francis Ponge, auteur majeur de la poésie contemporaine, nous offre, avec Plat de poissons frits, une vision novatrice du genre poétique. Il nous fait vivre un grand moment culinaire, une dégustation de poissons au cœur de la chaleur méditerranéenne, aux allures humoristiques et idéalistes. Au sein de ce poème, on retrouve une distinction entre le matérialisme et le sensualisme, prisée par Ponge et issue des doctrines de son œuvre Le Parti pris des choses. Difficile de classer Monsieur Ponge dans tel ou tel style littéraire. [...]
[...] On peut également noter l'expression «encore vierges» qui donne l'impression que «les filets» sont tout destinés à notre poète, et qu'il ne va pas tarder à les inaugurer. La description culinaire de Ponge est perturbée par son excitation et finit par s'achever. Il perd ses mots et abandonne sa réflexion : . ( ) Non, c'est trop bon Il s'impatiente : le poisson «s'entrouvre» peu à peu. Et pour couronner le tout, il est interrompu par la fenêtre qui s'ouvre au moment même où il est sur le point d'entamer son repas ! Mais, malgré tout, Ponge est aux anges. [...]
[...] Plat de poissons frits de Francis Ponge Goût, vue, ouïe, odorat . c'est instantané; Lorsque le poisson de mer cuit à l'huile s'entrouvre, un jour de soleil sur la nappe, et que les grandes épées qu'il comporte sont prêtes à joncher le sol, que la peau se détache comme la pellicule impressionnable parfois de la plaque exagérément révélée (mais tout ici est beaucoup plus savoureux), ou (comment pourrions-nous dire encore . Non, c'est trop bon ! Ça fait comme une boulette élastique, un caramel de peau de pois- son bien grillée au fond de la poêle . [...]
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