La deuxième partie du roman Les Fous de Bassan, de l'auteur québécoise Anne Hébert, et paru en 1982, est constituée de lettres dans lesquelles Stevens Brown confie à son ami Michael Hotchkiss sa version des événements tragiques qui ébranlèrent, en 1936, le village gaspésien de Griffin Creek. La lettre qui fait l'objet de ce commentaire, datée du 2 août, précède d'un mois les meurtres de Nora et Olivia, les cousines de Stevens. À travers le regard obscur de ce futur assassin, transparaît sa vision du monde, manichéenne et tentatrice, ainsi que son combat intérieur contre les pulsions qui l'assaillent et le déchirent, et ses vaines rêveries d'un avenir meilleur, assombries par l'ombre de la religion qui a bercé son enfance. Par ailleurs, aux prises avec un sentiment d'urgence, où le temps semble fuir, insaisissable, l'été 1936 n'est pourtant qu'un été parmi d'autres dans cette communauté hors du temps, où demeurent les parents de Stevens chez lesquels il retarde sa visite, pourtant l'un des buts de son retour aux origines, dans le village de Griffin Creek. Ce sont finalement les obsessions de Stevens pour ses deux cousines, qui laisseront entrevoir à quel point l'obscurantisme religieux a envahi les mœurs du village, où le rôle des femmes excessivement réducteur et passéiste n'empêche pas la rumeur d'une grogne féministe qui gonfle secrètement.
[...] La lettre de Stevens se situe aussi bien dans le passé que dans le présent ou le futur vivement appréhendé, et le temps, celui du village ou celui qui presse Stevens à lutter un peu plus chaque seconde contre ses démons, demeure toujours aussi insaisissable. On sent finalement se dessiner dans les mots de Stevens un destin tragique auquel son passé et celui de la communauté l'aurait préparé depuis deux siècles, et auquel ni lui, ni ses cousines ne semblent pouvoir échapper. [...]
[...] En cela, une fois de plus très manichéen, Stevens divise la vie de la femme en deux mondes distincts, celui de l'enfance et de l'adolescence, et celui atteint lorsqu'elles se marient et tombent enceintes : seul ce premier monde, surtout l'adolescence, lui semble accessible et provoque chez lui cette folie cruelle, cette convoitise obsédante, malsaine et violente. Bientôt les petites Atkins m'échapperont tout à fait, basculeront très vite de l'autre côté du monde. Mais ce n'est finalement pas le seul « monde féminin », ici l'adolescence, qui hante les pensées de Stevens. En effet, il dit détester « le monde feutré des femmes », par opposition à celui des hommes, ainsi que « leurs revendications chuchotées entre elles, à longueur de journée, l'été surtout, lorsque la plupart des hommes sont en mer, ou dans les champs. [...]
[...] La lettre qui fait l'objet de ce commentaire, datée du 2 août, précède d'un mois les meurtres de Nora et Olivia, les cousines de Stevens. À travers le regard obscur de ce futur assassin, transparaît sa vision du monde, manichéenne et tentatrice, ainsi que son combat intérieur contre les pulsions qui l'assaillent et le déchirent, et ses vaines rêveries d'un avenir meilleur, assombries par l'ombre de la religion qui a bercé son enfance. Par ailleurs, aux prises avec un sentiment d'urgence, où le temps semble fuir, insaisissable, l'été 1936 n'est pourtant qu'un été parmi d'autres dans cette communauté hors du temps, où demeurent les parents de Stevens chez lesquels il retarde sa visite, pourtant l'un des buts de son retour aux origines, dans le village de Griffin Creek. [...]
[...] L'adjectif « plate » est de plus répété à deux reprises dans ce passage, « une route plate » puis « deux plantations d'orangers, [ . plates comme la route et le soleil étale », et ce qualificatif fait davantage penser, une fois de plus, à la mer qu'à une route : le monde plat dont il rêve est peut-être finalement celui où nul ne peut « se cach[er] » dans des « maisons fermées », ni dissimuler ses sombres pensées et ses actes honteux voire cruels. [...]
[...] Et pourtant, alors que le temps s'accélère à mesure qu'on approche de la date des meurtres, demeure cette vision d'un village immobile, qui s'est perdu dans le temps, en matière de vie et de mœurs. Le temps semble s'y être arrêté. La communauté ne s'est agrandie qu'à partir des quatre familles initiales, et nulle exogamie n'est venue modifier la vie du village gaspésien depuis 1782. Stevens n'hésite pas à dénoncer le dénuement des habitants du village « pauvres comme sel » et qui pourtant semblent très heureux. [...]
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