Que l'on vous présente un recueil intitulé Fables : invariablement, c'est le nom de La Fontaine qui vous viendra à l'esprit. C'est que le fabuliste du XVIIe siècle a marqué durablement le genre après l'avoir renouvelé. Pourtant, il est un autre fabuliste, de cent ans son cadet, Florian, qui a su lui aussi écrire des apologues passés à la postérité en laissant bien injustement leur auteur dans l'ombre. Si Jean-Pierre Claris de Florian n'a pas suivi la ligne satirique du La Fontaine vieillissant, il nous a offert de belles fables qui renouent avec leur vocation première : proposer des leçons de vie qui éclairent la condition humaine et permettent de vivre avec plus de sagesse. Il en est ainsi de « L'Aveugle et le Paralytique », du recueil Fables publié en 1792, en pleine instabilité révolutionnaire, tandis que se prépare l'ère terrible de la Terreur.
La fable présente la rencontre d'un aveugle et d'un paralytique entre lesquels s'engage un dialogue duquel peut sortir une solution à leur malheur : une illustration avant l'heure du dicton populaire « l'union fait la force ». La moralité de cette fable paraît donc évidente ; il semble pourtant pertinent de se demander ce que le recours au récit apporte de nuance, de subtilité et de profondeur à ce message limpide.
[...] L'Aveugle et le Paralytique est donc bien une fable morale qui vise à édifier les hommes sur leur conduite de vie. Reposant sur les préceptes chrétiens, elle prône les valeurs de fraternité et d'entraide nous dirions solidarité au XXIe siècle : cette valeur ne s'est pas démodée, même si elle s'est détachée de son origine religieuse. La fable porte cependant aussi la marque de l'époque troublée qui l'a vue naître : Florian, aristocrate menacé par la vague révolutionnaire, ne peut qu'avoir des craintes pour l'avenir qui viennent nuancer la vision positive qu'offre sa fable. [...]
[...] Nous nous attacherons dans un premier temps aux particularités de l'une et de l'autre. Et tout d'abord, la formulation de la moralité permet quelques remarques intéressantes : le Aidons-nous mutuellement du vers avec son impératif à valeur d'exhortation, rappelle curieusement le aimez-vous les uns les autres des Évangiles. C'est bien un appel à la fraternité chrétienne qui s'annonce ici, reformulé de manière différente dans les vers 3 et 4 ; appel mis en valeur aussi par le jeu des antithèses : charge / légère ou bien / mal et par le parallélisme des vers 3 et 4 associé à l'antéposition du complément pour le mal que l'on souffre et le recours au terme frère fortement connoté. [...]
[...] Le futur des verbes traduit toute la détermination du personnage ; mais peut-on en conclure que l'humanité va pouvoir ainsi améliorer sa condition ? On aurait pu concevoir que le fabuliste reprenne en charge le récit pour proposer une courte conclusion qui donnerait au lecteur la vision des deux êtres enfin en mouvement vers un but. Mais il ne l'a pas fait. Reste la possibilité que le paralytique, dans son grand pessimisme, refuse l'effort demandé par son acolyte. Nous pouvons donc émettre quelques réserves sur l'optimisme de la fable. [...]
[...] Pourquoi alors s'appuyer plutôt sur un argument d'autorité lointain : la pensée de Confucius, philosophe chinois de l'Antiquité à la sagesse légendaire ? Sans doute pour obéir à une mode orientaliste ; sans doute aussi pour ne pas indisposer la censure révolutionnaire pour qui le pouvoir religieux et la hiérarchie ecclésiastique étaient d'ores et déjà des ennemis combattus. Cette moralité est donc suivie d'un récit, annoncé au vers placé lui aussi sous l'autorité de Confucius et qui se présente sous la forme d'une parabole autre référence implicite au Nouveau Testament : ainsi s'exprimait Jésus. [...]
[...] Plus qu'une réflexion sur le sort des infirmes, il s'agit ici d'une évocation symbolique de la souffrance endurée par l'homme en général. Ainsi donc, la moralité et le récit trouvent leur essence dans les paroles de l'aveugle, porte-parole du fabuliste. À lui revient le plus grand nombre de vers : seuls quatre expriment les paroles du paralytique. Son âme fut émue par la souffrance de l'autre vers 23, ce qui témoigne de ses qualités morales. L'impératif du vers 27 : Unissons [nos maux] fait aussi écho au premier vers formulé par le fabuliste. [...]
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