Frédéric Moreau, héros de L'Education sentimentale, roman de Gustave Flaubert paru en 1869, a provisoirement donné congé au grand amour qui le liait à l'inaccessible Madame Arnoux. Nous le découvrons dans cette page en présence de Rosanette, jeune femme à la mode, dont il vient de devenir l'amant. Tout entiers consacrés à leur bonheur, Frédéric et Rosanette ont quitté Paris, où se déroulent les émeutes de 1848, pour une escapade sentimentale à la campagne. Flaubert nous les présente donc à Fontainebleau, face-à-face, à la table d'une auberge, puis en contemplation devant le paysage environnant.
Un tel épisode, sans nécessiter le recours aux grandes orgues, mériterait du moins, vu le caractère romanesque de la situation, la convocation des violons. Or l'auteur semble ne pas jouer le jeu : la scène est placée plutôt sous le signe de la médiocrité et de la banalité ; et l'on découvre vite que Flaubert nous invite moins à nous associer au bonheur des amants qu'à observer du point de vue de Frédéric la façon dont l'excitation amoureuse peut convertir une auberge borgne en palais idéal. Sur ce regard, l'auteur lui-même porte le sien qui est fortement empreint d'une ironie parfois teintée de férocité.
Justification du plan
Le duo est-il vraiment romanesque ? Qui regarde ?
Ce déjeuner amoureux, suivi d'une promenade sentimentale offrait un plan d'étude chronologique sommaire. Nous avons trouvé plus ingénieux, après avoir flairé quelques grincements dans la relation de ce repas idyllique, d'opposer la banalité et la médiocrité du repas et du décor à la transfiguration opérée par le regard de Frédéric. Restait à faire un sort au commentaire implicite ou explicite de Flaubert.
I. Médiocrité et banalité
A. L'auberge
Voici en effet un repas qui nous est présenté sous le double signe de la platitude et de la convention. Il est difficile de flairer, au travers de la présentation qui nous est faite de l'auberge (...)
[...] Gustave Flaubert, L'Éducation sentimentale III [Pendant les émeutes de 1848, Frédéric Moreau, héros de L'Éducation sentimentale, s'est rendu à Fontainebleau pour une partie de campagne en compagnie de Rosanette qui est devenue depuis peu sa maîtresse.] Ce soir-là, ils dînèrent dans une auberge, au bord de la Seine. La table était près de la fenêtre, Rosanette en face de lui ; et il contemplait son petit nez fin et blanc, ses lèvres retroussées, ses yeux clairs, ses bandeaux châtains qui bouffaient, sa jolie figure ovale. [...]
[...] La réalité est que la fête vient d'eux, et en particulier de Frédéric. Coulons-nous maintenant dans son regard pour observer les sélections et les transformations que le héros opère, enivré qu'il est par l'alcool de la passion amoureuse. II. Le regard de Frédéric A. Gros plans sur Rosanette Si l'on ne voit ni convive ni décor au cours du dîner, c'est parce que Frédéric est tout entier absorbé par la contemplation de l'être aimé ; de là vient cette succession de gros plans sur la personne de Rosanette qui mobilise exclusivement son attention ; en effet, alors que tout le reste du texte est extrêmement pauvre en adjectifs, dès qu'il s'agit de l'objet aimé, ils abondent : le simple nez de Rosanette recueille trois qualificatifs petit fin et blanc les cheveux appellent un adjectif et une relative : châtains qui bouffaient Tous ces éléments révèlent une fascination qui emprisonne le regard de Frédéric dans un cercle étroit où évoluent deux mains quasi-magiques : ses deux mains découpaient, versaient à boire, s'avançaient sur la nappe B. [...]
[...] L'auberge 7 B. Le décor naturel 7 Conclusion partielle et transition 8 II. Le regard de Frédéric 9 A. Gros plans sur Rosanette 9 B. Travail du regard 10 Le repas 10 Le paysage 10 C. Un couac ; Conclusion partielle et transition 11 III. Le regard de Flaubert 13 A. [...]
[...] Commentaires Ce sentiment naît, bien sûr, du contraste qui s'établit entre la pauvreté du repas, complaisamment soulignée par l'auteur, et la jubilation des amants ; et c'est avec une ironie féroce que Flaubert, affectant la neutralité dont il s'est toujours fait un devoir, mesure l'ivresse passionnelle de Frédéric et de sa compagne : Ils se croyaient presque au milieu d'un voyage, en Italie, dans leur lune de miel On le voit, les idées reçues sont largement à l'œuvre, et sur ce thème, l'auteur raffine : l'usage de presque au lieu d'en modérer l'effet, potentialise encore les poncifs, et la mise entre virgules de l'« Italie surenchérit savamment sur la bêtise. Il s'agit sans conteste, pour Flaubert, de dégonfler les baudruches de l'émotion, et nous sommes invités à nous souvenir que les gondoles des lunes de miel ont une forte tendance à circuler sous les ponts-aux-ânes. La présence de l'auteur est donc aussi efficace que discrète, comme en témoigne encore un grand nombre d'effets. B. [...]
[...] Flaubert nous les présente donc à Fontainebleau, face-à-face, à la table d'une auberge, puis en contemplation devant le paysage environnant. Un tel épisode, sans nécessiter le recours aux grandes orgues, mériterait du moins, vu le caractère romanesque de la situation, la convocation des violons. Or l'auteur semble ne pas jouer le jeu : la scène est placée plutôt sous le signe de la médiocrité et de la banalité ; et l'on découvre vite que Flaubert nous invite moins à nous associer au bonheur des amants qu'à observer du point de vue de Frédéric la façon dont l'excitation amoureuse peut convertir une auberge borgne en palais idéal. [...]
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