En cette première moitié du XIXe siècle, où se situe la révolution de 1848, Gustave Flaubert ose se démarquer de l'univers littéraire alors en crise, et écrit L'Education sentimentale, roman sur la désillusion.
A son habitude, Flaubert ne laisse pas le lecteur s'installer dans le conformisme de la pensée ou de la logique. Dans le passage que nous commentons, l'effet de surprise est réussi, puisque après le monologue récriminatoire de Sénécal contre Arnoux, Frédéric rassure d'un mot son interlocuteur, lui laissant entendre qu'il s'engage à parler en sa faveur à M. Arnoux (...)
[...] Le champ lexical de la couleur est très riche, afin d'établir un contraste plus fort avec la platitude terne de cette rencontre : rouge de cuivre des Chinois mordoré chatoyant rehaussés sanguine De même en ce qui concerne le champ lexical de l'ailleurs exotique, lui aussi haut en couleurs : majoliques, faënza, de l'étrusque, de l'oriental, vases couverts de mandarins, écritures arabes Notons aussi la mise en parataxe qui, en juxtaposant les mots sans mots de liaison ou de subordination, les place sur le même plan et nous plonge dans l'absurde d'un monde nivelé, dénué de cohérence interne : des majoliques, des faënza, de l'étrusque, de l'oriental de gros vases des écuelles des pots des buires des lettres d'enseigne, des étiquettes à vin Cet amoncellement d'objets disparates, loin d'être un «musée», apparaît comme un bric à brac qui essaie de tenir lieu de vie là où le vide règne ! Vide et plein, encore soulignés par les phrases très rythmées, selon des scansions identiques. Au début de la visite, ce sont les verbes qui séparent les objets, et traduisent les hésitations et l'évolution dans le temps : après avoir cherché il avait voulu faire , tenté réalisés plus tard. [...]
[...] Comme les autres petits bourgeois du roman, Arnoux n'est pas suffisamment cynique pour faire du profit, ni un bourgeois au goût sûr et fondé, qui sache parler en connaisseur d'art. Il se soumet à la puissance de l'argent, mais toutes ses tentatives sont vouées à l'échec, car cherchant à concilier l'argent, la gloire et l'art, il ne trouve rien. Flaubert le présente davantage comme un petit commerçant essayant diverses techniques de vente successives, au coup par coup, sans stratégie d'ensemble cohérente. [...]
[...] Nous commentons ici une des rencontres entre Frédéric Moreau et Madame Arnoux, elle se situe au chapitre III de la deuxième partie de l'œuvre. Trois grandes parties serviront de trame à notre réflexion, centrée autour d'un des nombreux échecs de Frédéric Moreau : Figures du vide Une dualité éloquente Lieux communs et ironie flaubertienne Figures du vide 5 Solitude, espace vide du moi Dès le début de ce passage, le champ lexical souligne l'absence, en présentant la maison d'Arnoux comme un désert : il ne rencontra personne pièce vide on ne répondit pas était seule D'autre part, l'armoire à glace devant laquelle se trouve Mme Arnoux vient renforcer le côté froid et distant d'un lieu inhabité, sauf par quelqu'un qui se regarde dans un face à face narcissique aucunement propice à la rencontre. [...]
[...] Le thème du vide spatial et temporel renvoie à la mort des illusions dans la société en plein bouleversement qu'est la Monarchie de Juillet. Mais nous avons vu aussi à quel point ce thème renvoie au vide de soi. L'écriture, cependant, vient suturer le manque et l'absence, non en les comblant, mais en les intégrant dans une multiplicité de personnages et de situations qui, au final, ne sont pas si divers qu'il y paraît. L'enchaînement narratif construit un autre espace-temps, dévoile une forme de jugement sur les aléas de l'Histoire, et tamise dans un style extrêmement travaillé, le vide mélancolique qui pourrait bien précipiter héros et narrateur dans la folie ! [...]
[...] La déchéance sociale et financière s'assortit d'une mise à plat d'ordre affectif, puisque la déception personnelle d'Arnoux a des retombées sur son entourage familial, amical et professionnel : sans contenter personne Frédéric Moreau par un point essentiel, semblable au milieu qu'il traverse ; il est tour à tour trop au-dessus ou trop au-dessous de son aspiration George Sand L'écriture de Flaubert A propos du profit et de la ruine, nous venons de souligner comment apparaissent dans cet extrait, la dualité entre l'art et l'argent, et le paradoxe qui consiste à se désintéresser de l'un en faveur de l'autre. C'est dans ce «double-je» identitaire que se débat M. Arnoux, puisque celui qui a créé l'Art industriel apparaît aux artistes bohêmes comme un bourgeois, et comme un artiste aux bourgeois. Bourdieu a raison de souligner que Frédéric, lui aussi, cultive les stratégies de double-jeu, en tentant de concilier les contraires : il cumule l'amour noble de Mme Dambreuse et l'amour folâtre de Rosanette, leur envoie lettres et bouquets semblables. [...]
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