Dans l'avant-dernier chapitre de son Éducation sentimentale, paru en 1869, Flaubert donne à son lecteur un premier épilogue, qui voit la conclusion de la relation platonique entre Frédéric et Madame Arnoux. Il s'agit de la dernière entrevue entre les deux personnages, après plusieurs années de séparation. Ils s'y avouent enfin leur amour, mais le temps qui a passé rend impossible toute concrétisation. Le chapitre est composé de deux mouvements, qui s'opposent fortement. Le premier voit les retrouvailles proprement dites, puis le "tour" effectué par les deux personnages qui sont bercés par l'illusion d'un amour inaltéré. Le second a lieu lors du retour à l'appartement de Frédéric, et la rupture forte vient de la prise de conscience du temps qui pèse sur les individus. À l'exaltation de la première partie correspond une brutale retombée, une profonde désillusion qui met fin aux aspirations des deux personnages. Ce thème d'un amour impossible entre un jeune homme et une femme marié est un thème récurrent dans les romans du XIXème siècle, puisque Sainte-Beuve dans Volupté et Balzac dans Le Lys dans la vallée l'avaient déjà traité. Cependant cette reprise va permettre à Flaubert de réinventer le roman d'apprentissage et de l'adapter aux nouvelles exigences du réalisme naissant. Nous nous demanderons donc dans quelle mesure ce premier épilogue est représentatif de cette réécriture du roman d'apprentissage hérité du romantisme et adapté au réalisme. Il s'agira d'abord de s'intéresser aux topos romantiques, extrêmement présents dans ce chapitre mais constamment mis à distance par l'ironie de Flaubert. Nous verrons également que cet épilogue apparaît comme un contre-pied du premier chapitre, placé sous le signe de la désillusion. Enfin, il apparaîtra que cette scène symbolise l'échec de l'éducation sentimentale du personnage principal (...)
[...] Je suis heureuse!'' La double exclamation montre bien cette exaltation, ce sentiment qui la transporte. Quand à Frédérique, il considère que ces retrouvailles effacent toutes les déceptions qu'il a subit dans sa jeunesse: Ses souffrances d'autrefois étaient payées. comme si cette scène permettait une relecture des ces échecs à la lumière de ces révélations. Le premier mouvement de ce chapitre est donc dominé par cette impression d'un amour idéal, résistant à toutes les séparations, dans l'espace comme dans le temps. [...]
[...] Mais ce chapitre est en fait la conclusion logique de tout le roman. Toutes les relations amoureuses de Frédéric se sont soldées par un échec: l'enfant né de l'aventure avec Rosanette la femme facile meurt, il refuse d'épouser Madame Dambreuse, la veuve du riche banquier, et son meilleur ami Des lauriers lui vole Louise Roque, qui aurait pourtant bien voulu épouser Frédéric. Il est donc logique que la relation avec la femme de sa vie se solde également par un échec, d'autant plus cuisant que c'est au moment où rien n'est plus possible qu'il s'est repris à espérer. [...]
[...] troublé par la vue de cette partie du corps qui doit rester caché pour que leur relation reste purement idéale et platonique. Pourtant, malgré ce déballage de clichés romantiques, tout sonne faux et l'ironie mordante de Flaubert maintient ces topos à distance. Les clichés romantiques sont clairement réécris de manière ironique, et Flaubert ne nous épargne aucun lieu commun dans le monologue de Frédéric. Même l'apparente communication idéale du début de la rencontre est placée sous le signe de l'échec, car le dialogue est faussé. [...]
[...] De la même manière, leurs mains se serrèrent rappelle fortement leurs yeux se rencontrèrent par le parallélisme de leur construction. Ici on a l'impression qu'une étape a été franchie, puisque le contact n'est plus seulement visuel mais aussi tactile. Cependant cela s'arrêtera là, les deux amants n'iront pas plus loin, il n'y aura jamais de concrétisation physique. C'était d'ailleurs évident dès le premier chapitre: le désir de la possession physique même disparaissait sous une envie plus profonde, dans une curiosité douloureuse qui n'avait pas de limites. [...]
[...] Ainsi ce premier épilogue apparaît comme la conclusion d'un anti- roman d'éducation, puisque l'éducation sentimentale y est manquée. Pourtant, à première vue cet avant dernier chapitre est l'occasion d'une relecture avantageuse de l'histoire de Frédéric. Ce chapitre, comme dans la plupart des passages du roman, privilégie le point de vue de Frédéric, le héros du roman d'apprentissage, auquel le lecteur peut être tenté de s'identifier. Or les retrouvailles avec Madame Arnoux vont être très gratifiantes pour lui. En effet, la femme semble lui vouer un véritable culte, comme en témoignent ses exclamations Lui! [...]
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