Il peut sans doute sembler paradoxal de dire que les premières pages de "Fin de partie" constituent une scène d'exposition : d'abord parce que la pièce de Beckett n'est pas découpée en scènes, ensuite parce la finalité d'une scène d'exposition dans le théâtre traditionnel demeure la transmission aux spectateurs (ou bien aux lecteurs de la pièce) d'informations nécessaires à la bonne compréhension de l'action à la fois en cours et à venir.
Or l'on voit bien dans le cas de Beckett qu'un grand nombre de caractéristiques majeures de son théâtre s'opposent assez radicalement à toute transmission aisée d'informations : le langage parlé par les actants sur scène est sans cesse parasité par des temps, des silences et des hésitations. Ces premières pages de Fin de partie sont surtout remarquables en ce qu'elles livrent tout un condensé de l'art dramatique de Beckett. Mais, justement, comment peut-on interpréter les premières lignes de la pièce qui font référence au décor ?
[...] Immobile à côté du fauteuil, Clov le regarde. Teint très rouge. 11) Et ce qu'il y a de particulièrement intéressant dans cette description du décor, c'est la pauvreté des moyens grammaticaux dont Beckett s'est servi afin de l'écrire : beaucoup de substantifs sont dépourvus d'articles Intérieur sans meubles au lieu de Un intérieur sans meubles Porte à l'avant scène de droite au lieu de Une porte à l'avant-scène de droite etc.), et le choix du vocabulaire se distingue avant tout par son absence de recherche : tout beau style ou toute écriture que l'on pourrait qualifier de littéraire semblent en effet bannis de cette description. [...]
[...] Le rôle de Clov au début de la pièce Dans l'incipit de Fin de partie, Clov est le premier personnage à bouger et à parler, et nous pouvons tirer plusieurs enseignements des gestes et des quelques paroles que Beckett lui prête. D'abord, et nous l'avons déjà évoqué dans l'introduction, la première manifestation de Clov se fait dans le cadre d'une pantomime et, donc, d'une absence de langage : Il va se mettre sous la fenêtre à gauche. Démarche raide et vacillante. [...]
[...] Hamm Dès que le personnage de Hamm ouvre la bouche pour la première fois, la parole est remise en cause d'une manière encore plus radicale que lorsque Clov s'adressait au public : HAMM. A (bâillements) à moi. (Un temps) De jouer. (Il tient à bout de bras le mouchoir ouvert devant lui.) Vieux linge ! (Il ôte ses lunettes, s'essuie les yeux, le visage, essuie les lunettes, les remet, plie soigneusement le mouchoir et le met délicatement dans la poche du haut de sa robe de chambre. [...]
[...] Mais est-ce dire que nos souffrances se valent ? Sans doute. (Un temps.) Non, tout est a (bâillements) bsolu, (fier) plus on est grand et plus on est plein. (pp 14-15) D'emblée, c'est-à-dire en fait dès la première syllabe A la parole de Hamm est littéralement désarticulée par un bâillement. Dans le cas de Clov, la parole n'était encore que circonscrite par du vide et du silence (rôle des temps Mais dans le cas de Hamm, le vide et le silence vont jusqu'à déstructurer l'architecture interne du vocable. [...]
[...] Commentaire de l'incipit et des premières pages de Fin de partie de Samuel Beckett (1957) Texte 1 : pp 11-18, de Intérieur sans meubles. à Il va vers la porte. (Toutes les citations reproduites dans ce commentaire sont extraites de l'édition publiée en 2009 aux Editions de Minuit.) Il peut sans doute sembler paradoxal de dire que les premières pages de Fin de partie constituent une scène d'exposition : d'abord parce que la pièce de Beckett n'est pas découpée en scènes, ensuite parce la finalité d'une scène d'exposition dans le théâtre traditionnel demeure la transmission aux spectateurs (ou bien aux lecteurs de la pièce) d'informations nécessaires à la bonne compréhension de l'action à la fois en cours et à venir ; or l'on voit bien dans le cas de Beckett qu'un grand nombre de caractéristiques majeures de son théâtre s'opposent assez radicalement à toute transmission aisée d'informations : le langage parlé par les actants sur scène est sans cesse parasité par des temps, des silences et des hésitations (la communication unilatérale entre ces actants et le public devenant donc difficile), et les pantomimes effectuées au tout début de la pièce par le personnage de Clov (il s'agite dans tous les sens avec un escabeau) n'apporte aucune information cruciale aux spectateurs quant à l'action en cours sur scène, et ce parce que cette pantomime se passe totalement de langage. [...]
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