Si l'écrivain irlandais Samuel Beckett a d'abord produit plusieurs romans, il s'est ensuite fait connaître en tant que dramaturge dès 1952 avec la pièce En attendant Godot. Ses œuvres théâtrales novatrices sont parfois désignées comme appartenant au « théâtre de l'absurde » ; or elles sont difficilement classables selon les conceptions antique ou classique du théâtre. La pièce Fin de partie, jouée pour la première fois en 1957, illustre cette variation des genres et des tonalités. Sa structure, tout comme son sujet, sont inédits puisqu'elle n'est composée que d'un seul acte dans lequel s'expriment quatre personnages sans qu'il existe d'intrigue. Hamm, Clov, Nell et Nagg vivent dans des conditions misérables, tout en maintenant une certaine distance, par divers moyens, avec ce quotidien sordide. Après une anecdote narrée par Nagg, Nell s'exclame : « Rien n'est plus drôle que le malheur ». Cette affirmation en forme de paradoxe, dont Beckett a dit qu'elle était la phrase la plus importante de la pièce, pourrait être liée au genre de celle-ci. L'adjectif « drôle » renvoie à la comédie, à l'humour et à la légèreté. En revanche, la notion de malheur est généralement rapprochée de la comédie. Elle désigne une situation pénible qui cause la douleur. Cela serait révélateur d'une insensibilité ou, du moins, d'une sensibilité déréglée car on ne se réjouit habituellement pas du malheur. L'association des deux termes est par conséquent étonnante, voire inintelligible. Cependant, elle met en lumière la complexité de la nature de Fin de partie et c'est ce qui fait problème. En quoi les relations entre rire et condition misérables sont-elles révélatrices du genre de la pièce ? Il est intéressant, dans un premier temps, d'étudier la coexistence du rire et du malheur puis, dans une deuxième temps, de s'attacher à la distanciation qu'elle engendre et enfin, dans un troisième temps, de tenter de préciser le genre et la portée de la pièce.
[...] Le rire constitue un espace de liberté certain pour le spectateur. Ce dernier rie quand il le souhaite et interprète ainsi personnellement ce qu'il voit. La remarque ironique qu'Hamm adresse à Clov en disant : Quel penseur ! semble souligner ce refus d'imposer une seule grille de lecture comme pourrait le faire une tragédie rigoureusement construite selon les préceptes classiques. En effet, ce genre théâtral met en présence deux forces opposées et propose une conclusion. Le remaniement qu'opère Beckett en ajoutant des éléments comiques et en refusant une structure normée réfute aussi la présence d'une morale trop prégnante. [...]
[...] Il permet d'évacuer le réel actuel en s'attachant à un passé plus agréable, vécu ou fictif. C'est le cas lorsque Nagg dit à Nell, à propos de l'histoire du tailleur : Elle t'a toujours fait rire. (Un temps). La première fois j'ai cru que tu allais mourir. Le rire passé, qu'ils essayent de renouveler dans le présent : pour dérider est une porte de sortie afin d'échapper au tragique du réel duquel ils sont prisonniers. Le rire est aussi un moyen d'interpréter le réel par le biais de l'ironie. [...]
[...] Fin de Partie, de Samuel Becket : Rien n'est plus drôle que le malheur Si l'écrivain irlandais Samuel Beckett a d'abord produit plusieurs romans, il s'est ensuite fait connaître en tant que dramaturge dès 1952 avec la pièce En attendant Godot. Ses œuvres théâtrales novatrices sont parfois désignées comme appartenant au théâtre de l'absurde ; or elles sont difficilement classables selon les conceptions antique ou classique du théâtre. La pièce Fin de partie, jouée pour la première fois en 1957, illustre cette variation des genres et des tonalités. [...]
[...] Clov rie, par exemple, quand Hamm entreprend de poursuivre l'histoire du mendiant. Il ne sait pas ce qui déclenche son rire et il est difficile pour le spectateur de le deviner car aucun élément ne paraît comique dans ce récit. De même, lors de la première ronde avec le fauteuil, Hamm s'amuse aux dépens de Clov en lui demandant de le déplacer insensiblement pour qu'il soit parfaitement au centre. Il se moque vraisemblablement de lui ce qui crée un comique de situation. [...]
[...] et Clov de répondre : Il n'était pas vieux.», puis Hamm réitère sa question : Mais il est mort ? et Clov conclut : Naturellement. L'humour relève d'un jeu fin sur la langue. Le langage peut aussi donner lieu à un comique bien plus vulgaire, comique du bas corporel qui émaille le texte. C'est le cas après la confusion amusante que fait Clov entre les adjectifs coïte et coite après quoi Hamm déclare : Si elle se tenait coïte nous serions baisés.» Le rire est donc présent dans tout le texte dramatique, qu'il soit le produit des répliques des personnages ou de leurs actions. [...]
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