« Les femmes » est le dernier poème de la section des Rhénanes. Il a été publié pour la première fois en 1903 dans la revue qu'Apollinaire avait lui-même fondée, « Le festin d'Esope » et ce, tout comme « la synagogue » autre poème de la section. « Les femmes » relève de l'esthétique du quotidien que l'on retrouve dans d'autres poèmes des Rhénanes comme « La synagogue » ou « les cloches ». Apollinaire nous présente un groupe de femmes dans leur quotidien, leurs conversations ainsi que leurs activités domestiques.
La section des Rhénanes est construite selon une esthétique en miroir. Ce poème est donc à mettre en relation avec le premier, « Nuit Rhénane ». En effet, nous notons une triple évolution entre ces deux textes. D'abord, la situation d'énonciation a changée, le « je » du poète est omniprésent dans « Nuit Rhénane » mais il a disparu dans « Les femmes ». Ensuite, le terme abordé dans « Nuit Rhénane » est celui de l'amour et de la femme envoûtante avec les personnages des Ondines. Dans notre poème, le thème principal est celui de la mort. Ces deux thèmes étant placés en symétrie, on comprend alors que chez Apollinaire l'un ne va pas sans l'autre. Enfin, on remarque aussi un changement d'atmosphère. Dans « Nuit Rhénane », nous entrons dans un monde merveilleux avec les Ondines alors que dans « Les femmes », nous entrons dans le quotidien banal du groupe des femmes.
Il existe tout de même un point commun entre ces deux poèmes, le thème de la nuit. Dans notre poème cette nuit est plutôt inquiétante puisqu'elle est liée à la mort. Dans le premier poème de la section, la nuit est liée à l'ivresse et au rêve.
D'un point de vue formel, le poème alterne des éléments traditionnels et modernes. Les rimes sont embrassées mais le poème juxtapose les différentes voix des femmes (en italique) et des parties descriptives. Ce poème est un poème conversation, visible par la polyphonie des voix des femmes. Apollinaire a été un des premiers à écrire ce type de poème. Il en publiera d'ailleurs une grande partie dans son recueil Calligrammes en 1918.
A la lecture de ce poème, nous pourrions nous demander en quoi la forme du poème permet à Apollinaire de rendre l'univers des femmes mystérieux et inquiétant.
Pour répondre à cette interrogation, il convient d'abord de s'intéresser à cet univers quotidien et familier dans lequel évoluent les femmes avant d'étudier plus en détails la forme du poème. Ainsi, sera mis en lumière un aspect plus noir et plus sombre du texte.
[...] Au vers sous la neige est surprenant puisqu'il ne comporte que quatre syllabes. Ces éléments de coupes, de rejets et d'enjambements ne concernent pourtant que la partie dialoguée ce qui permet au poète, sans doute, de montrer la grande multiplicité des voix des femmes. À l'inverse, la partie descriptive est écrite de manière tout à fait traditionnelle. Par exemple, au vers on retrouve une reprise des mêmes sonorités tout au long du vers Dans la maison du vigneron les femmes cousent Puis, ces parties descriptives sont écrites de façon assez simple (sujet, verbe, complément) comme aux vers au vers 15 ou encore au vers 36. [...]
[...] Dans la strophe deux vers sont consacrés à l'amour Lotte es-tu triste O petit cœur, je crois qu'elle aime, Dieu garde, pour ma part, je n'aime que moi-même Puis, dans la strophe les trois premiers vers sont consacrés aux aliments Apporte le café le beurre et les tartines, la marmelade le saindoux un pot de lait, encore un peu de café Lenchen s'il te plaît Enfin, seule la dernière strophe propose un ensemble cohérent entre le dialogue et la description. Les deux ensembles concernent la mort du sacristain. [...]
[...] Encore une fois, si les femmes parlent sans cesse, de choses anodines, c'est avant tout pour s'éloigner d'une mort tellement proche. Dernier poème des Rhénanes, Les Femmes parvient à mêler une atmosphère tranquille et apaisante à un monde mystérieux et totalement inquiétant grâce au procédé de la juxtaposition. Ce poème nous propose une réelle scène de genre où se mêlent toutes les tranches d'âges. Il nous présente une atmosphère du quotidien déjà visible dans Zone et l'intimité de ces modestes femmes. [...]
[...] Enfin, ces femmes sont toutes évoquées par des diminutifs. Le morphème en de Lenchen permet la formation, en Allemagne, de diminutifs. Ensuite, Kaethi est le diminutif de Katherine et Lotte celui de Charlotte. Lorsque les femmes s'interpellent, elles emploient des diminutifs et ceci souligne l'aspect familier de la scène ainsi que l'intimité qui les lie. Puis, chaque autre personne qui est évoquée est précédée de l'article défini. On le relève d'ailleurs un grand nombre de fois et ce, par exemple avec le facteur le sacristain le nouveau maître d'école la fille du vieux bourgmestre du vigneron Cela permet encore de renforcer l'aspect familier de la scène. [...]
[...] On remarque aussi des personnifications assez inquiétantes comme aux vers 36 la nuit indécise au vers 27 le vent faisait danser en rond tous les sapins et au vers 14 vent chantait à voix grave de grand orgue En outre, au vers 15 apparaissent le Songe Herr Traum et sa sœur Frau Sorge Ces personnages ne sont que des personnifications. En effet, Herr Traum signifie M. Rêve en allemand et Frau Sorge signifie Mme Souci Le rêve et le souci s'immiscent dans le quotidien des femmes de façon personnifiée. On retrouve ici le lien entre le banal et le fantastique présent dans la plupart des Rhénanes. [...]
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