Si l'art, sous toutes ses formes, est une manière bien personnelle de représenter le réel, on est en droit de s'interroger sur la vision du monde de tel ou tel artiste. Dans cette perspective, l'approche de Théophile Gautier est intéressante car il se veut doublement artiste : écrivain certes mais aussi peintre raté, en tout cas critique d'art fort honorable, à lire ses Salons. Gautier est avant tout un visuel et dans sa nouvelle La Toison d'or, parue en 1839, il met en scène un héros à sa ressemblance, un passionné de peinture : Tiburce.
C'est ainsi que l'on peut se pencher sur les rapports établis entre l'intellect et la psyché pour ce qui est du sentiment amoureux, entre "la femme peinte et la femme réelle."
Cette formule sous-entend une dialectique évidente entre art et réalité, entre portrait de la femme aimée et modèle bien vivant. Rapports, c'est à dire contradictions sans doute mais également ambiguïté qui engendre une confusion : la femme entre réalité et fiction, tel pourrait être l'enjeu de la réflexion.
[...] Il semble que Gautier pose ici le problème général de l'esthétique et il pourrait être intéressant de comparer son point de vue à celui d'autres artistes, selon une vision diachronique. [...]
[...] Gautier met ici en place une incise pour deux raisons : insister sur Tiburce, esthète qui tombe amoureux d'une "femme peinte" - Madeleine - mais qui peut également s'éprendre d'une "femme réelle" - Gretchen De cette confrontation naît la confusion entre l'art et la vie. Lorsque Tiburce rencontre Madeleine, il s'agit véritablement d'émoi amoureux : il est jaloux du Christ, trouvant le contact entre les deux personnages très sensuel. Ici réside l'essentiel de l'ambiguïté et de la confusion entre union érotique et félicité esthétique. Il s'attarde avant tout sur la chevelure, fragmentant ainsi le corps, à l'image d'un Gautier fétichiste qui s'emballe ailleurs pour un "pied de Momie" ou le sein d'une jeune fille de Pompéi. [...]
[...] Une analyse de l'intitulé de la nouvelle et de son implicite nous révèle une des caractéristiques de Tiburce. En effet, Gautier fait ici référence à la mythologie grecque : Jason et les Argonautes sont partis à la conquête de la toison d'or - la toison d'un bélier dont la laine était d'or conquête difficile, voyage semé d'embûches. On peut assimiler cette quête à celle du Graal à l'époque médiévale, une quête entreprise par les Romantiques à la poursuite de l'Idéal. [...]
[...] Ainsi, l'art reste le médiateur de l'amour et la réalité ne devient signifiante qu'à travers lui. Conception même de Gautier pour qui le réel est déjà un tableau et le monde un musée virtuel : la beauté de la nature n'est rien sans le façonnement artistique, comme il le dit dans son poème sur l'Art : "Oui, l'œuvre sort plus belle D'une forme au travail Rebelle [ ] Que ton rêve flottant Se scelle Dans le bloc résistant." La "femme peinte" sublime la "femme réelle" parce que travaillée et épurée selon le principe de l'art pour l'art. [...]
[...] La femme peinte et la femme réelle dans La Toison d'or de Théophile Gautier (in Contes et récits fantastiques) Si l'art, sous toutes ses formes, est une manière bien personnelle de représenter le réel, on est en droit de s'interroger sur la vision du monde de tel ou tel artiste. Dans cette perspective, l'approche de Théophile Gautier est intéressante car il se veut doublement artiste : écrivain certes mais aussi peintre raté, en tout cas critique d'art fort honorable, à lire ses Salons. [...]
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