Dans La Femme et le Pantin de Pierre Louÿs, le personnage de Mateo raconte son aventure amoureuse avec une certaine Concha, afin de prévenir son ami André des dangers qu'il court à tomber amoureux de cette femme. Vers la fin du roman, au chapitre XII, Concha a une fois de plus convaincu Mateo qu'elle l'aimait de tout son cœur et qu'elle le voulait pour le reste de sa vie à ses côtés, et Mateo lui achète un hôtel privé. Par caprice, Concha demande à Mateo de venir la rejoindre un soir comme un « hôte clandestin » pour la nuit de noces. La grille de la maison est fermée et Concha lui fait baiser ses mains puis ses pieds à travers les barreaux, puis lui assène, contre toute attente, « C'est bien. Maintenant, allez-vous-en ». C'est cette phrase qui va déclencher la scène que nous allons étudier. Ce passage est d'une importance fondamentale dans le déroulement de l'intrigue, il est d'une intensité dramatique remarquable.
[...] C'est également un retournement de situation complet, par lequel on voit enfin apparaître la vraie nature cruelle de Concha. Nous assistons dans cet extrait à une mise en scène spectaculaire, qui passe par un registre théâtral omniprésent et une grande importance accordée au visuel et aux sens, au physique en général. En effet, le discours de Concha va se dérouler à la manière d'une longue tirade théâtrale, qui va se développer en plusieurs temps. On remarque l'abondance des phrases exclamatives qui dénotent la forte implication du personnage dans son discours. [...]
[...] avant d'appeler Morenito. A la fin de la scène, les sens sont toujours présents avec ce parallélisme inversé : J'ai encore dans les oreilles, comme un bourdonnement d'agonie, les râles de joie qui firent trembler sa bouche pendant que la mienne étouffait ainsi qu'avec l'accent de sa voix La dramatisation de la scène passe donc par cette référence constante aux sens et au corporel dont le récit use afin de rendre l'intensité de l'action. Si cette scène s'apparente à une véritable mise en scène, c'est donc par la théâtralisation dont le texte est l'objet, qui en fait un spectacle fondé sur l'importance extrême accordée au corps. [...]
[...] affirme son indépendance par l'usage de sa langue maternelle. On peut également penser que c'est ici la vraie Concha qui se révèle, en considérant cette langue comme celle de la sincérité par laquelle elle se rebelle contre l'homme. Il est également question d'un appel de triomphe quand elle demande au Morenito de venir la rejoindre (l.45) : c'est son heure de gloire, de liberté, celle de l'expression entière, sans retenue de son pouvoir. On note encore la récurrence je suis libre ! [...]
[...] Concha, quant à elle, reprend le même terme afin d'en détourner le sens et de retourner la situation. Elle rit certes, mais elle rit de son malheur à lui, c'est un rire cruel qui traduit sa joie de se révéler enfin telle qu'elle est et de le voir souffrir par sadisme. Son ironie cruelle s'exprime pleinement dans ce passage, notamment grâce à la question rhétorique : Je ris ! Je ris ! Es-tu content ? avec un jeu sémantique entre le verbe rire et l'adjectif content qui serait synonyme ici de satisfait. [...]
[...] Dans cette scène, elle rejette Mateo pour recevoir Morenito : elle lui ouvrit ses deux bras nus (l.50). Elle s'amuse à torturer Mateo, et l'horreur de la scène devient innommable, pour Mateo, comme on peut le constater dans le pargraphe l.58 à l.62. Elle lui disait encore beaucoup d'autres choses que Mateo est incapable de continuer à énoncer. L'abondance des points de suspension, que l'on trouve à huit reprises, correspond aux pauses dans le récit et transmettent la difficulté pour le narrateur de dire l'indicible. [...]
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