Georges Simenon est un écrivain belge francophone dont l'abondance et le succès des romans policiers éclipsent en partie le reste d'une oeuvre beaucoup plus riche. De fait, pour la plupart des lecteurs, l'auteur est le créateur du célèbre commissaire Maigret, popularisé au cours des décennies par des acteurs prestigieux comme Jean Gabin, Jean Richard ou Bruno Cremer. Mais, véritable génie de l'intrigue, il a aussi écrit beaucoup d'autres romans policiers à la teneur psychologique très poussée : il a un sens de la psychologie qui lui permet de distiller le doute dans l'esprit du lecteur. C'est sans doute la raison pour laquelle de nombreux réalisateurs ont adapté nombres de ces romans au cinéma, comme par exemple Claude Chabrol en 1982 avec Les Fantômes du chapelier.
L'extrait étudié se situe au tout début du roman. Les premiers indices vont fournir au lecteur tous les éléments d'une intrigue policière (...)
[...] C'était le plus souvent une longue pluie crépitante et, quand on courait la ville, en 10 rasant les maisons, on entendait l'eau couler dans les gouttières ; on choisissait les rues à arcades, pour être un moment à l'abri : on changeait de souliers en rentrant chez soi ; dans tous les foyers, des pardessus, des chapeaux séchaient près du poêle, et ceux qui manquaient de vêtements de rechange vivaient dans une perpétuelle humidité froide. Il faisait noir bien avant quatre heures et certaines fenêtres étaient éclairées du matin 15 au soir. [...]
[...] En attachant de l'importance aux détails de l'espace et du temps, et en s'attardant sur des détails insignifiants, Simenon installe une atmosphère angoissante autour de la boutique du chapelier, provoquant le trouble du lecteur face au comportement étrange du personnage principal. II- Un personnage mystérieux Il faut attendre quatre paragraphes avant que n'apparaisse le personnage principal (M. Labbé, ligne chargé de toute l'ambiance angoissante installée au début du texte. C'est le premier être vivant dont parle l'auteur, et le lecteur a alors tendance à l'associer à cette atmosphère lugubre. [...]
[...] C'est toute cette minutie du détail qui va occasionner le doute chez le lecteur, lorsque le narrateur va abandonner ses certitudes et s'interroger sur les gestes du chapelier ce jour-là. La question qui inaugure le sixième paragraphe (Est-ce qu'avant de tourner le commutateur il avait marché jusqu'à la fenêtre, dont les rideaux en guipure, très épais, poussiéreux, étaient toujours clos lignes 21-22) interpelle le lecteur qui se demande pourquoi le narrateur est soudainement interrogatif. Le trouble mis en place par le climat initial envahit de nouveau la chambre dans laquelle vient d'entrer M. Labbé et sur laquelle nous ne savons rien d'autre que l'obscurité qui la baigne. [...]
[...] Il avait gravi l'escalier en colimaçon, dans le fond de la chapellerie Sur le palier, il avait marqué un temps d'arrêt, tiré une clef de sa poche, ouvert la porte de la chambre 20 pour faire de la lumière. Est-ce qu'avant de tourner le commutateur il avait marché jusqu'à la fenêtre, dont les rideaux en guipure, très épais, poussiéreux, étaient toujours clos ? Probablement, car il baissait habituellement le store avant d'allumer. À ce moment, il avait pu voir en face, à quelques mètres de lui à peine, Kachoudas, le tailleur, dans son atelier. [...]
[...] Labbé qui s'attache à baisser habituellement le store avant d'allumer (ligne 23). Le lecteur interprète toutes ses précautions en fonction du climat qui lui a été donné précédemment et pressent que le chapelier a quelque chose à cacher dans cette chambre, d'autant plus que la pièce dans laquelle vit Kachoudas est décrite dans les moindres détails (ligne 28) avec les fleurs de la tapisserie, les taches de mouches sur la glace, le morceau de craie plate et grasse qui pendait à une ficelle, les patrons en papier brun accrochés au mur (lignes 29 et 30). [...]
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