Fables, La Fontaine, amour-propre, image, miroir, Narcisse
Onzième fable du livre I, L'Homme et son image se situe au centre
"arithmétique" du premier livre des Fables et se présente d'après Louis Marin1 comme une fable miroir. Ainsi les dix premières fables mettent en scène des animaux alors que les dix suivantes sont dominées par des personnages humains. D'après le critique, les animaux seraient dans la position du réel et L'Homme et son image opèrerait le pivot qui donne ensuite à voir les hommes dans celle du reflet. La fable jouerait donc un rôle spéculaire dans la structure du livre I et proposerait une réflexion sur le
pouvoir de la "réflexion". Par ailleurs, cette fable entre en résonance avec d'autres textes qui abordent le thème de l'amour propre, à commencer par La Besace, qui la précède de peu dans le recueil. Dans ce poème, les animaux convoqués par Jupiter sont amenés à exprimer s'ils se trouvent mécontents de leur nature.
[...] L'ironie provient du décalage entre l'image que l'homme a de lui-même et le soupçon qui est porté sur cette image par le fabuliste. Le thème du miroir annoncé dans le titre est introduit dans le vers 3 et associé au lexique du rejet, "il accusait toujours". La permanence et l'entêtement de l'homme, son obstination à refuser l'image que lui renvoie le réel est suggérée par l'adverbe "toujours". La Fontaine relève la disjonction entre l'image intérieure et l'image extérieure avec l'introduction du lexique de l'erreur et de la fausseté, dont les termes sont associés à la rime avec ceux qui signalent le jugement que le personnage se porte ("rivaux/faux" et "monde/profonde"). [...]
[...] Ainsi L'Homme et son image se présente comme une réflexion sur le pouvoir des fables. Face à la question de l'amour propre, traitée dans un réseau de plusieurs fables, La Fontaine en arrive à la conclusion que les hommes ou leurs avatars animaliers ne cherchent pas à faire la lumière sur leur imperfectibilité et cherchent encore moins à se transformer par des révélations sur leur propre nature. Le projet des moralistes serait alors d'enlever au lecteur l'excuse de l'ignorance de soi et des ruses que l'amour propre emploie pour le tromper. [...]
[...] il fait tout ce qu'il peut" souligne la façon dont l'homme pense à nouveau pouvoir éviter de se confronter à son image. Dans les vers "Ses yeux irrités/pensent apercevoir une chimère vaine", le verbe de perception ainsi que le groupe nominal "chimère vaine" soulignent l'illusion dans laquelle il choisit encore de s'enfermer. Une nouvelle objection intervient avec la réitération de l'averbe d'opposition "mais" et le changement de mètre ( passage à l'octosyllabe) qui soulignent un changement dans son attitude. "Mais quoi, le canal est si beau/ Qu'il ne le quitte qu'avec peine". [...]
[...] Dans ce cas, l'hommage au moraliste semble bien peu orthodoxe et éclaire plutôt la propre poétique de La Fontaine, qui opère le détour du récit allégorique adressé à un moraliste afin d'exprimer sa conception de la morale dans les Fables. Assez peu confiant dans les pouvoirs des fables à édifier le lecteur, l'intérêt en résiderait dans leur séduction et dans leur gaieté, l'aspect didactique passerait alors au second plan. Mais la comparaison des Maximes au canal conduit à une autre interprétation, qui fait dire à Louis Marin que "l'image qu'est la fable ne détient d'autres pouvoirs du poète que de la beauté qui est celle du monde". [...]
[...] En effet le texte ne s'apparente pas aux fables qui l'entourent, aux fables canoniques : sa dimension réflexive la fait peut-être échapper aux catégories génériques. La fable s'ouvre pourtant bien sur un récit en deux temps, d'abord la présentation de l'homme qui fuit les miroirs puis sa rencontre avec le canal alors qu'il a quitté le monde, suivi par un troisième temps discursif dans lequel le fabuliste propose un décryptage extrêmement précis de l'allégorie. Enfin, L'Homme et son image est dédiée au duc de La Rochefoucauld et le fabuliste fait référence au livre des Maximes dans le dernier vers. [...]
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