Marcel Proust a marqué le début du 20e siècle avec sa fresque romanesque À la recherche du temps perdu. Sodome et Gomorrhe est le troisième volet de cette épopée proustienne. Dans cet extrait, le trajet que le narrateur emprunte pour se rendre à un dîner au château de la Raspelière par M. et Mme Verdurin est décrit.
Aussi, dans cet extrait d'un roman généralement inscrit dans le genre autobiographique, de quelle manière Marcel Proust évoque-t-il ses souvenirs et surtout, comment le style de l'extrait expose-t-il une vision originale de la réalité chez Proust ?
[...] Cet extrait de Sodome et Gomorrhe offre une caractérisation particulière pour un roman consacré aux souvenirs de son auteur ; les personnages n'ont pas de visages et sont passifs, mais surtout l'atmosphère y est étonnante : jeu d'ombres et de lumières, distorsion du temps, espace indiscernable qui traduit certainement un réel état d'esprit du héros/narrateur que Proust n'essaye pas de dissimuler, rendant ainsi, presque à l'état brut, ses perceptions du moment. Finalement, ce texte ressemble à un labyrinthe dont les murs seraient cette longue phrase pleine de détours et d'embûches dans laquelle le lecteur, tout autant que les personnages, se perd. Par bonheur, le style proustien est un véritable fil d'Ariane auquel le lecteur peut se raccrocher avec aisance et qu'il doit commencer à bien tenir au bout de 480 pages. [...]
[...] Mais cela aurait entravé la torpeur qui semble caractériser ce passage. Cette longueur, presque langueur, créée par l‘imparfait est d'ailleurs renforcée par le fait que les personnages ne semblent pas seulement perdus dans le temps (ils ne sont pas surs de l'heure qu'il est avant d'entendre sonner l'église) mais aussi dans l'espace : ils travers[ent] un village qui n'est pas nommé, sûrement parce que le narrateur lui-même ne le connaît pas, ils se retrouv[ent] en pleins champs se croient presque à moitié chemin [ ] de Paris mais arrivent au château à cet instant précis. [...]
[...] La figure de style utilisée est celle de la conglobation : Proust accumule une série de traits sémantiques ayant trait à la désorientation physique mais cette désorientation prend sens qu'à l'arrivée au château : ce n'est pas le trajet inconnu qui donne au narrateur l'impression d'être perdu mais plutôt la raison de ce trajet qui est dans cet extrait la véritable inconnue, à savoir le dîner chez M. et Mme Verdurin. C'est certainement ce dîner qui l'angoisse le plus et non le trajet en lui-même car, comme nous l'avons précédemment exposé, leur arrivée au château ne leur permet pas d'y voir plus clair. D'ailleurs, les grands détours que Proust fait pour arriver à évoquer le dîner ne sont pas éloignés des détours effectués par les personnages pour arriver au château. [...]
[...] Cette opposition crée un flou entre l'invisible indicible et le visible caractérisé par des adjectifs hyperboliques : éclatantes et rutilant Ainsi, cette lumière, au lieu de révéler, semble aveugler les personnages enveloppés par l'opacité du cadre extérieur puisqu'ils ont un vif mouvement de recul (ligne 9). Cette idée est d'ailleurs confortée par l'oxymore entre le verbe éprouver dont le sémantisme indique une durée assez importante par opposition à l'adjectif vif qui évoque la rapidité. Par ailleurs, l'extrait est à l'imparfait de l'indicatif, temps caractéristique du récit, bien évidemment, mais aussi, et surtout dans ce contexte, de la pause, du répétitif et de la longueur dans le temps. [...]
[...] Le cas échéant, pourquoi ne pas utiliser ce pronom personnel au signifié plus caractérisant que on ? Cela donne l'impression que Proust refuse de nommer les personnes qui l'accompagnent. De même, lorsque le pronom personnel nous est utilisé à deux reprises comme pronom personnel sujet, il apparaît comme sujet de verbes modalisateurs au sémantisme relevant du ressenti et de la passivité : éprouvions ligne 9 et croyions ligne 10. Parallèlement, si nous nous intéressons au sémantisme des verbes liés aux personnages, ils apparaissent aussi assez passifs, que ce soit quand ils décrivent l'état des personnages on se retrouvait (ligne on était (lignes 3 et on s'était presque assoupi (ligne ou leurs sensations perceptives on reconnaissait (ligne on entendait (ligne3)). [...]
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