Le Roman de la Rose écrit au 13e siècle est une œuvre fondatrice de la langue française. Véritable Best-seller en son temps, c'est un poème épique dans lequel le narrateur raconte le rêve de son aventure dans un verger l'amenant à la conquête d'une rose. Ce poème est en réalité une longue allégorie de la conquête amoureuse, de ses obstacles et présente un véritable Art d'aimer du Moyen Age. L'auteur nous y présente les amis et les ennemis de l'amour et développe au fil de ses rencontres dans le Jardin de Deduit les pièges à éviter.
Le passage que nous devons étudier se situe aux vers 1425 à 1522, après une description du verger paradisiaque et de ses occupants, le narrateur nous emmène près de la Fontaine de Narcisse et nous conte son histoire. Le mythe de Narcisse est exposé pour la première fois par Ovide dans les Métamorphoses, œuvre dans laquelle il exposait la création du monde au travers de nombreuses métamorphoses d'hommes en plantes ou animaux dues la présence des dieux. Ce mythe a souvent fait l'objet de réécritures telle que Le lai de Narcisse d'auteur anonyme au 12e siècle. Nous pouvons donc nous demander comment Guillaume de Lorris a réussi à adapter ce mythe à l'amour courtois et à l'intégrer au sein de son œuvre.
[...] En effet, Guillaume de Lorris vivait au 13e qui était fortement marqué par la religion catholique, bien loin du polythéisme de l'œuvre d'Ovide. Ce changement se remarque lors de la prière d'Écho : Elle pria Dieu au v.1555, puis Cele proiere fu resnable et por ce la fist dieu estable v.1464-1465. Les divinités ne sont plus multiples et ne sont plus vengeresses comme chez Ovide, mais Dieu est seul et unique et également juste. Cette christianisation du mythe visait principalement à permettre la lecture de l'œuvre, mais surtout de provoquer son adhésion chez le plus grand nombre. [...]
[...] En effet, c'est après cet avertissement, en regardant dans la fontaine de Narcisse, que le rêveur va découvrir le buisson de rose. On passe donc d'un passage allégorique descriptif du jardin d'amour à la quête de la rose. Ce passage est donc l'élément perturbateur du schéma narratif. L'insertion de cet élément mythologique semble donc être réellement calculée et marquer une sorte d'étape dans l'œuvre. Le rêveur est à présent averti, l'amour n'est plus seulement une longue danse avec Oiseuse, Liesse ou Deduit, l'amour est également source de duel et peut provoquer la mort. [...]
[...] Or, la virtuosité de Guillaume de Lorris est d'avoir réussi à faire du mythe de Narcisse une leçon de morale adressée aux Dames. Cette volonté didactique est énoncée très clairement au vers 1504 Dames, cest essemple aprenez Ce mythe a donc une fonction didactique très claire, c'est un avertissement adressé aux femmes dédaignant leur prétendant. Nous pouvons tout de même être étonnés des destinataires de cet avertissement, le mythe nous présentant un homme dédaigneux alors que la morale s'adresse aux femmes. [...]
[...] Du mythe, il fait un apologue médiéval à l'intention des dames dédaigneuses, qui est à l'origine d'un tournant narratif dans l'œuvre. Malgré les nombreuses réécritures du mythe de Narcisse au Moyen Âge, guillaume de Lorris reste le seul à avoir réussi le tour de force de conserver l'essence du mythe tout en l'adaptant suffisamment pour lui donner un ancrage médiéval justifiant une morale étonnante. Il a ainsi réussi extraire de ce mythe une morale qui permettait de s'ancrer parfaitement dans son roman, satisfaisant la soif de mythologie des lecteurs l'époque sans s'éloigner de sa propre trame narrative. [...]
[...] Chaque personnage est immédiatement défini par un attribut médiéval, Narcisse est un damoisiaus, Écho une haute dame ce qui resitue immédiatement le mythe dans un contexte de fin'amor. De plus, les mots cuer v.1456, escondire v.1450, v.1502 et amor v.1437 v.1445 v.1459 sont abondants dans la littérature courtoise. Le vers 1437 Qu'amors mist en ses raiseaus est une image particulièrement appréciée au Moyen Age, où nous retrouvons la toute-puissance de l'amour ainsi que le piège qu'il représente. Cette prolifération de vocabulaire courtois montre la volonté de Guillaume de Lorris de faire de sa réécriture un passage hautement courtois, qui s'intègre alors parfaitement à son œuvre. [...]
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