Avec Regain, Giono clôt en 1930 le cycle commencé avec Colline et Un de Baumugnes où il célèbre en romancier-poète son attachement à sa terre natale de Provence.
Dans ce passage, deux personnages - un homme et une femme - ont trouvé refuge pour la nuit dans une grange isolée sur un plateau de Haute-Provence. Soudain, un bruit insolite les réveille.
On étudiera d'abord l'évocation poétique de la nature avec, en contrepoint, le recours à un réalisme original. Mais Giono révèle aussi un talent d'écrivain à suspense pour nous faire partager l'intense émotion de ses personnages devant ces mystères nocturnes.
[...] On a vu plus haut les effets liés aux changements de focalisation. Ajoutons que ce choix de technique narrative permet ici de faire alterner des séquences sur ce qui se passe dans la grange, en faisant se succéder les plans sur l'intérieur et l'extérieur de la grange: l'intérieur, avec son décor familier, rassurant par sa solidité matérielle; et l'extérieur, lieu de tous les mystères que nos personnages ne peuvent investir que par l'imagination, en essayant de comprendre l'origine, la nature de ce bruit insolite. [...]
[...] ] comme de l'ombre». Puis, les personnages reviennent au premier plan: on entend leurs pensées s'exprimer dans un style un peu enfantin ce n'est plus pour rire») et le narrateur reprend, comme en écho: tout d'un coup [ . ] souffle Sous l'effet de l'angoisse, ils se rapprochent physiquement ils sont serrés l'un contre l'autre mais semblent aussi perdre leur identité propre, confondus dans un pronom unique ils partageant la même émotion, s'encourageant mutuellement, sans même échanger de paroles. La description de la grange écarte tout pittoresque superflu et se réduit à l'essentiel, aux éléments sur lesquels se fixe l'attention des personnages: les murs la porte le bois du «vantail la pierre» qui ferme la porte. [...]
[...] En effet, le style propre du narrateur se démarque à peine de celui de ses personnages. Ce sont des êtres frustes et Giono reproduit la simplicité de leur langage, avec ses nombreuses répétitions, ses tournures familières ça passe tout léger que c'est ou à peine maladroites Et tout d'un coup, il le faut tellement qu'ils arrêtent leur souffle Ce sont Arsule et Gédémus qui pensent, au style indirect libre: ne faut pas que la paille craque mais c'est le narrateur qui confirme: Il faut qu'ils soient là [ . [...]
[...] On remarque ainsi l'absence dans le texte du mot peur» ou d'un de ses synonymes ! La progression du récit répond à cette perspective. Il s'ouvre sur une sorte de prélude - ou plutôt de nocturne quasi musical: c'est la de tous les bruits, mais tous ces bruits - qui pourraient inquiéter un citadin sont identifiables et familiers pour Gédémus et Arsule, et leur sommeil n'en est pas troublé. Or, c'est sur cet arrière-plan sonore - décrit à l'imparfait de durée - que surgit l'insolite, un bruit qui semble humain, un pas claquement d'étoffe phénomène inexplicable dans ce lieu désert. [...]
[...] Mais l'essentiel n'est pas là, il est dans l'atmosphère créée dans ce texte. Il contient en effet les traits caractéristiques qui ont enchanté les premiers lecteurs de Giono: la poésie surprenante d'une langue originale, où le lyrisme cosmique s'empare des mots les plus simples pour inventer les images les plus audacieuses et rendre ainsi hommage à la vie intense de la nature et à des êtres frustes, mais capables de la comprendre et de la respecter. C'est aussi le Giono plus tardif qui perce dans ce texte riche d'un suspense quasi cinématographique: on pense à l'auteur d'Un roi sans divertissement, une enquête mystérieuse et sanglante dans les montagnes, ainsi qu'aux scénarios et aux films qu'il réalisera plus tard. [...]
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