Montaigne, essais, Livre 1, chapitre 26, incipit, éducation, De l'institution des enfants
Situation :
Thème humaniste par excellence, l'éducation occupe une large place dans les Essais de Montaigne. Le diptyque que forment le chapitre I, 25 : « Du pédantisme » et le chapitre I, 26 : « De l'institution des enfants » s'attache tout particulièrement au portrait de l'enseignant. Le nom du chapitre « De l'institution des enfants » en embrasse la matière : le terme institution désigne bien ce qui concerne la pédagogie, l'enseignement, l'éducation. A partir de la page 345, Montaigne présente la caractéristique essentielle de l'éducation : apprendre à penser et à agir, non à parler : « Or, nous qui cherchons ici au rebours, de former non un grammairien ou logicien, mais un gentilhomme laissons-les abuser de leur loisir... ». Montaigne montre alors que la pensée prime sur la parole ; autrement dit, que le fond prime sur la forme. D'où la réflexion qui va suivre sur le véritable style.
Caractérisation :
Montaigne aborde alors, dans l'extrait proposé, la question du véritable style. L'extrait ne met pas en oeuvre ce que le titre du chapitre « De l'institution des enfants » proposait ; il s'agit ici d'une digression. C'est déjà ce qu'annonçait l'incipit de l'essai, dans lequel Montaigne parle, en son nom, de l'enfant qu'est son livre. Ce passage lie également, et de manière indéfectible, l'auteur à son livre grâce au style, au « parler », « tel sur le papier qu'à la bouche ».
[...] » D'emblée, le texte se fait plus frappant. La parataxe envahit le texte dans des phrases nominales où se succèdent les adjectifs : « Plutôt difficile qu'ennuyeux », c'st-à-dire plutôt ardu par concision que fastidieux par délayage. La difficulté est alliée au caractère décousu de son langage : « Déréglé, décousu et hardi ». Le texte lui-même en devient décousu, avec la parataxe : évocation de la difficulté, pour passer au manque de sentiments (« Eloigné d'affectation »), et enfin au caractère décousu. [...]
[...] Le « parler succulent » s'inscrit dans la tradition de l'innutrition de la Renaissance : digestion des textes par le style et la parole. D'où la référence au vers final de l'épitaphe de Lucain qui ouvre les éditions du poète à la Renaissance : on y trouve le terme « dictio » qui signifie « l'action de dire ». D'autant plus intéressant de voir que cette digestion se fait par assimilation de l'un à l'autre, du texte de Lucain à celui de Montaigne, pour former, plutôt qu'un assemblage de texte épars, un texte singulier. [...]
[...] Critique de « se vouloir marquer par quelque façon particulière et inusité », ce qui est marqué rhétoriquement par le rythme 4/4 des adjectifs finaux : c'est en effet, pour Montaigne, symbole de « pusillanimité », c'est-à-dire de faiblesse et de lâcheté (ici face aux choses elles-mêmes) La comparaison entre les vêtements et la rhétorique est marquée par le connecteur de comparaison en début de phrase : « Comme aux accoutrements » / « De même au langage » : refus du nouveau dans la langage (« phrases nouvelles », « mots peu connus »), qu'il critique à nouveau : « puérile et pédantesque », écho de « pusillanimité », mais ici la critique est renforcée par l'usage de deux adjectifs, dont le dernier est le rappel de « Non pédantesque », en début de page. L'exhortation finale (« Puissé-je ne me servir que de ceux qui servent aux halles à Paris ») réhabilite un langage oral et familier, ce que soulignent le hiatus disgracieux « aux halles » et l'usage de monosyllabiques. On sait, par ailleurs, que Montaigne dictait ses écrits, leur conférant une texture orale. [...]
[...] Ce qui oblige le lecteur à comprendre les liens que fait Montaigne, à les interroger, plutôt que de suivre servilement ce qu'il dit, comme dans la rhétorique ancienne. Il définit encore plus précisément son style par une accumulation de négations (en disant ce qu'il n'est pas) avec adjectifs qui riment : « Non pédantesque » (allusion au chapitre 25 contre les pédants), « non fratesque » (c'est-à-dire le style d'n frère prêcheur, ce dont il sera question dans le chapitre « non plaideresque » (c'est-à-dire le style d'un avocat, ce qu'était Montaigne), « mais plutôt soldatesque » : style conquérant, sec et péremptoire. [...]
[...] L'extrait ne met pas en œuvre ce que le titre du chapitre « De l'institution des enfants » proposait ; il s'agit ici d'une digression. C'est déjà ce qu'annonçait l'incipit de l'essai, dans lequel Montaigne parle, en son nom, de l'enfant qu'est son livre. Ce passage lie également, et de manière indéfectible, l'auteur à son livre grâce au style, au « parler », « tel sur le papier qu'à la bouche ». Plan : De « Le parler que j'aime » à « et si ne sens pas [bien] pourquoi il l'en appelle » : Montaigne présente dans un premier temps le véritable style qu'il prône ; il use alors dans le même temps de ce style véritable, un « langage coupé », émaillé d'images et de métaphores. [...]
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