Explication de texte: L'Impromptu de Versailles Moliere Scene 5 depuis " Moliere: Vous etes folle(...)Je ne m'en souviens plus"
Vous êtes folle. Le beau sujet à divertir la cour que
Monsieur Boursau[l]t ! Je voudrais bien savoir de quelle
façon on pourrait l'ajuster pour le rendre plaisant, et si
quand on le bernerait sur un théâtre, il serait assez
heureux pour faire rire le monde, ce lui serait trop
d'honneur, que d'être joué devant une auguste assemblée,
il ne demanderait pas mieux ; et il m'attaque de gaieté de
coeur, pour se faire connaître, de quelque façon que ce
soit. C'est un homme qui n'a rien à perdre, et les
comédiens ne me l'ont déchaîné, que pour m'engager à
une sotte guerre, et me détourner par cet artifice, des
autres ouvrages que j'ai à faire ; et cependant vous êtes
assez simples pour donner toutes dans ce panneau, mais
enfin j'en ferai ma déclaration publiquement. Je ne
prétends faire aucune réponse à toutes leurs critiques et
leurs contre-critiques. Qu'ils disent tous les maux du
monde de mes pièces, j'en suis d'accord. Qu'ils s'en
saisissent après nous, qu'ils les retournent comme un
habit pour les mettre sur leur théâtre, et tâchent à profiter
de quelque agrément qu'on y trouve, et d'un peu de
bonheur que j'ai, j'y consens, ils en ont besoin ; et je serai
bien aise de contribuer à les faire subsister, pourvu qu'ils
se contentent de ce que je puis leur accorder avec
bienséance. La courtoisie doit avoir des bornes, et il y a
des choses qui ne font rire ni les spectateurs, ni celui dont
on parle. Je leur abandonne de bon coeur mes ouvrages,
ma figure, mes gestes, mes paroles, mon ton de voix, et
ma façon de réciter, pour en faire, et dire tout ce qu'il leur
plaira, s'ils en peuvent tirer quelque avantage. Je ne
m'oppose point à toutes ces choses, et je serai ravi que
cela puisse réjouir le monde ; Mais en leur abandonnant
tout cela, ils me doivent faire la grâce de me laisser le
reste et de ne point toucher à des matières de la nature de
celles sur lesquelles on m'a dit qu'ils m'attaquaient dans
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leurs comédies, c'est de quoi je prierai civilement cet
honnête Monsieur qui se mêle d'écrire pour eux ; et voilà
toute la réponse qu'ils auront de moi.
MADEMOISELLE BÉJART.
Mais enfin...
MOLIÈRE.
Mais enfin, vous me feriez devenir fou. Ne parlons point
de cela davantage, nous nous amusons à faire des
discours, au lieu de répéter notre comédie, où en
étions-nous ? Je ne m'en souviens plus.
[...] Le terme entre ainsi dans une éthique et esthétique de la politesse très codifiées. Ainsi, offrir ses comédies au monde, c'est évidemment se présenter comme un dramaturge accompli mais aussi les adresser à un public royal qui en salue le talent. De bien des manières, L'Impromptu rejoue la Critique de L'Ecole des femmes tout en la dépassant dans et par de nouvelles formes. D'emblée, la formulation à la fois catégorique et ambigüe : « Je ne prétends faire aucune réponse à toutes leurs critiques et leurs contre-critiques. [...]
[...] Quelle stratégie argumentative Molière met-il en oeuvre pour rendre raison de L'Ecole des femmes dans L'Impromptu ? La stratégie oratoire exposée ne s'oppose-t-elle pas au jeu théâtral attendu dans une comédie ? Il conviendra d'examiner, d'un point de vue contextuel, les modalités d'écriture de cette pièce prise dans une série de critiques et de contre-critiques avant de réfléchir à la manière dont L'Impromptu de Versailles rejoue la Critique de L'Ecole des femmes sur un autre mode pour démontrer le déploiement en actes des capacités du théâtre et la défense de la société comique. [...]
[...] Il s'agit pour lui d'épingler sa cible Boursault, de se présenter comme sa parfaite antithèse, soit un artiste salué du public mais aussi de sauver le théâtre en orchestrant la défense de la comédie au sein d'une réflexion métathéâtrale sur celle-ci. Si le théâtre a partie liée avec l'indécence parce qu'il est spectacle, il n'est cependant pas indifférent à l'art oratoire. La comédie est en effet capable de se réfléchir elle-même, c'est ce que le procédé du théâtre dans le théâtre met en avant. En cela elle n'a rien d'improvisé, d'impromptu. L'Illusion comique usera du même procédé en 1635-1636 pour métaphoriquement réfléchir le théâtre et le racheter dans un contexte de théâtrophobie prégnant. [...]
[...] La réplique de Mademoiselle Béjart, ironiquement dans le rôle d'une prude alors même qu'elle était la femme de Molière dans la vie, manifeste un tournant et un retour à la comédie en rompant avec la tirade justificatrice : « nous nous amusons à faire des discours, au lieu de répéter notre comédie, où en étions-nous ? » C'est donc la comédie qui triomphe. La rupture est actée entre discours et comédie puisque finalement la répétition reprend, les comédiens reviennent à leur rôle après ce qui a paru comme une justification nécessaire de ce qui s'apprête à suivre. [...]
[...] L'Impromptu de Versailles émerge dans ce contexte scandaleux en 1663 : il vise à racheter L'Ecole des femmes et la Critique dans un même geste. Dans le cas particulier de L'Ecole des femmes, pièce à laquelle les détracteurs ont trouvé à redire à cause des nombreuses équivoques - la fameuse scène du « Le » à l'acte II, scène 5 les thématise toutes Molière réplique par la Critique de l'Ecole des femmes en 1663, une pièce sans pièce qui tourne autour du débat sur la comédie avec trois personnages pour la condamner et trois autres qui argumentent en sa faveur. [...]
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