Le personnage de roman, du XXème à nos jours : des expériences fondatrices de l'enfance.
[...] Il faut tout d'abord noter le décalage entre le souvenir des sentiments éprouvés par l'enfant dans ces extraits et les mots d'adultes posés dessus. Proust et le vocabulaire riche qu'il utilise montrent bien ce décalage. Dès lors, l'objectif de l'auteur est de parvenir à surmonter cette apparente contradiction. Michel Leiris prend bien conscience de cela en introduisant des propositions marquant l'imprécision du souvenir, comme "si mes souvenirs sont justes" (l.4). Marguerite Duras, quant à elle, fait un choix différent en utilisant des phrases courtes et descriptives, des mots simples malgré quelques incursions poétiques. [...]
[...] Des mots comme "ogre" (l.10), "cri de bête qu'on éventre" (l.15) ou encore "violent" (l.16) montrent bien la nature facilement impressionnable de l'enfant. À l'inverse, Rousseau comme Proust adoptent l'angle de l'éveil, sensuel pour le premier, artistique pour le second. Chez Proust, l'éveil de la sensibilité artistique coïncide avec celui des fleurs. Mais malgré le vocabulaire riche et floral qu'il utilise (les fleurs sont longuement décrites, et même personnifiées à la ligne 10) il arrive difficilement à poser des mots sur ce qu'il a ressenti à ce moment-là : il reproduit la confusion de l'enfant. [...]
[...] On peut d'ailleurs opposer le récit de Leiris à celui de Rousseau : si le premier est dans l'attente d'un évènement positif (aller au cirque) et se retrouve face à un évènement négatif, créant ainsi cette idée de tromperie, Rousseau vit exactement l'inverse en craignant un châtiment puis l'ayant enfin subi, l'appréciant presque. C'est d'autant plus remarquable que les visions portées par les auteurs adultes sont elles aussi radicalement opposées, même si peu comparables. Les quatre textes mettent en scène un évènement marquant de l'enfance des auteurs. Malgré la banalité objective des faits, chacun le vit d'une manière intense, que ce soit positivement ou négativement. Le récit d'enfance est donc abordé comme une tentative d'explication. [...]
[...] Les personnages, qui sont en fait les auteurs lors d'un âge enfantin, prennent alors une dimension romanesque. Ce phénomène est directement observable dans le texte de Duras, car elle est la seule à employer le présent de l'indicatif ainsi que la troisième personne du singulier, ce qui crée une distance entre elle et son personnage : on ne sait presque rien de ses pensées, il devient opaque, ce qui est l'une des caractéristiques du personnage du Nouveau Roman. Le récit d'enfance est donc tout d'abord un exercice littéraire visant à mettre sur papier des sentiments à peine compréhensibles par des enfants. [...]
[...] Chez Duras et Rousseau, les conséquences sont plus nuancées. Dans l'extrait de L'Amant de la Chine du Nord, la solitude subie de l'enfant fait face à celle, voulue, des adultes, qu'il s'agisse du jeune homme inconnu ou de la mère. Le fait que cela arrive à un moment crucial de la vie de l'enfant (le retour en France) et que personne ne soit à ses côtés laisse une marque indélébile, même si Duras n'insiste pas sur l'horreur de l'évènement : il s'agit plutôt d'une transition forcée vers un âge plus mature. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture