La ville, et surtout la métropole, à l'ère industrielle, est synonyme de chance, de réussite sociale possible ; de ce désir d'avenir naît l'immigration, notamment à New York, et l'entassement des foules migratoires conduit souvent à la perte de l'identité individuelle au milieu de la masse, la réussite sociale n'étant parfois qu'un mirage. Plus spécialement, le sujet que nous traiterons ici propose une définition de la nature profonde de la ville : il est en effet de son essence "de se déplier et de se redoubler elle-même."
Nous étudierons cette question dans un corpus de trois œuvres du début du XXe siècle : "Manhattan Transfer", de John Dos Passos ; "Voyage au bout de la nuit", de L.-F. Céline, et "Amerika ou le Disparu", de Franz Kafka.
[...] Il n'ose pas s'exprimer à l'hôtel Occidental, lorsqu'il est vertement licencié, ni face à son oncle (il n'essaie pas de contrevenir aux indications de la lettre le congédiant pour avoir une chance de s'expliquer ou se racheter) ; il voit la terre étrangère comme quelque chose dont il faut se méfier, sans pour autant s'en méfier suffisamment (avec Robinson et Delamarche notamment). Son comportement où transparaît une certaine faiblesse va de pair avec son errance dans le labyrinthe urbain et son impression de petitesse extrême face à la hauteur des buildings. Chez Dos Passos, la construction fragmentaire et cinématographique du roman, où les différentes voix alternent et où les dates sont rarement données, contribue à l'objectivité du récit ; les personnages sont parfaitement adaptés à celle-ci, l'expression de leurs sentiments étant assez rare. [...]
[...] Nous avons donc vu que la ville, représentée de façon cinématographique et objective chez Dos Passos, ou du point de vue subjectif d'un personnage central chez Céline et Kafka, est le lieu de l'impersonnel, de la perte d'identité ; c'est une entité qui s'étale, qui dévore tout ; elle dévore les lieux comme les hommes. Elle répète les mêmes schémas conventionnels et donne lieu, dans chacun des romans, à la récurrence d'un thème en particulier, l'erreur chez Kafka, le voyage chez Céline, et chez Dos Passos, l'impossibilité de bâtir des relations humaines autres que commerciales. [...]
[...] La ville enfin est un ensemble de personnes agissant toutes différemment, mais toutes simultanément ; cette simultanéité est représentée, en tout cas chez Dos Passos, par cette structure fragmentaire du récit, où les diverses sections non datées permettent de voir cette simultanéité des événements. La ville est donc présentée dans sa structure et sa nature par la construction du texte et des personnages, et les points de vue de ces derniers. Mais qu'en est-il de ses actes ? Le plus visible d'entre tous est certainement son expansion. [...]
[...] Le redoublement va plutôt dans le sens d'une répétition ou d'un renforcement, faisant songer à des situations propres à la ville et auxquelles on ne peut échapper, à un quotidien qui ronge par son désintérêt et son immuabilité. On remarque par ailleurs la personnification de la ville qui est faite dans cette citation : elle-même évoque à la fois un retour à soi, mais aussi l'action que l'on accomplit. Dès lors, nous tenterons de comprendre comment, comme possédant une identité propre, la ville peut agir sur l'existence de l'individu et finalement la contrôler. [...]
[...] En effet, la ville impose un quotidien qui ne peut varier, chacun est engoncé dans une vie dont il ne peut sortir ; cependant certains s'y essaient. Enfin, au-delà du quotidien, c'est un code social qu'elle impose et qui doit être respecté. Comme le dit Bruce Bégout dans Lieu commun (2003), A longueur de temps donc, nous manipulons les mêmes objets, empruntons les mêmes trajets, fixons les mêmes panneaux et les mêmes personnes ( et pourtant objets, trajets, personnes, nous demeurent obscurs, voilés derrière leur netteté banale. [...]
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