Le passage étudié, extrait du roman médiéval Le conte du Graal ou le roman de Perceval de Chrétien de Troyes, se situe dans la seconde moitié de l'œuvre. En effet, il est possible de remarquer une partition dans cette œuvre qui pourtant, d'après son titre, n'est consacrée qu'à la seule figure de Perceval. Celle-ci comporte en fait deux sections, l'une placée sous le signe de la quête du jeune Perceval, et l'autre dédiée aux aventures d'un chevalier plus expérimenté : Gauvain. Personnages similaires mais pourtant opposés, les deux chevaliers vont subir des épreuves comparables qui permettront de constater leurs différences et parfois de les placer sous le signe d'une quête commune.
C'est le cas de l'épisode du nocher et des Reines Mortes. Cette aventure, mettant en scène Gauvain, se situe du vers 7138 au vers 8178 dans le manuscrit 354 de Berne. Elle est le pendant du passage de Perceval dans le château du Roi Pêcheur, lui-même situé du vers 2936 au vers 3359. Elle place d'emblée le personnage dans un monde surnaturel, à la frontière du merveilleux chrétien et de la mythologie antique, monde dans lequel il est durement mis à l'épreuve. Le récit oscille sans cesse entre dimension tellurique, éléments du quotidien chevaleresque et sphère de la merveille. Le chevalier n'est pas étonné par la présence de ces défis à la raison mais il s'en émerveille bien. En quoi cette omniprésence de la merveille dans l'épisode fait-elle de Gauvain un chevalier exemplaire ?
[...] L'explication de la nature de ce lieu sera donnée dans les vers 8640 à 8673 : ce château est le refuge de nobles reines. Le fait qu'elles soient encore vivantes, ou du moins que Gauvain puisse les approcher, tient aussi du miracle. En effet, il remarque lui-même que leur grand âge devrait rendre leur mort inévitable : Li rois Artus, si com je panz, / N'ot mere passé a lonc tanz, / Qu'il a bien .LX. anz passez, / Mien escïent, plus assez v. [...]
[...] L'autre référence est interne : il s'agit d'une des épreuves les plus difficiles à laquelle est soumis le jeune Perceval, celle du château du Roi Pêcheur. Le Roi pêcheur apparaît dans le roman, et c'est la première fois qu'il apparaît dans la littérature médiévale, comme un roi blessé aux jambes ou à l'aine, et incapable de se mouvoir seul. Ni sa blessure ni celle de son père ne sont expliquées, mais Perceval découvre par la suite que les rois auraient été guéris s'il les avait interrogés sur le Graal, alors que sa mère lui avait recommandé de ne point poser trop de questions. [...]
[...] Il doit se confronter au passage de Gauvoie duquel C'ainz mes chevalier n'en issi. v D'ailleurs, sa sortie définitive n'est qu'implicite puisque le roman de Chrétien de Troyes s'interrompt avant l'arrivée du Roi Arthur et de sa cour qui doivent assister au combat de Gauvain contre Guiromelant. Le chevalier ne semble donc pas être promis à plus de paix, il doit sans cesse mettre en avant ses talents. Tous ces défis sont donc directement liés à la merveille qui se manifeste sous des formes diverses puisqu'ils sont tour à tour surprenants et irrationnels. [...]
[...] Le château des Reines Mortes se situe sur l'une des rives d'un fleuve qu'il faut traverser à l'aide d'un nocher demandant salaire. Cette première caractéristique fait immédiatement écho à la mythologie païenne antique et en particulier à Charon ou Caron (en grec ancien Χάρων / Khárôn), le nocher des Enfers qui était le fils d'Érèbe (les Ténèbres) et de Nyx (la Nuit). Il avait pour rôle de faire passer sur sa barque, moyennant un péage, les ombres errantes des défunts à travers le fleuve Achéron (ou selon d'autres sources, le Styx) vers le séjour des morts. [...]
[...] Il s'agit d'un eschace d'argent / A neel et molt bien doree, / Et fu de leus en leus bandee / D'or et de pierres precïeuses. v. 7568-7571. Le rôle de l'infirme n'est pas défini, on sait seulement qu'il si entendoit / A doler un baston de fraisne. v. 7574-7575. On peut alors supposer que sa fonction est d'avertir les visiteurs du château, et par là même les lecteurs, de la richesse contenue dans le château. Merveille et démesure sont aussi les termes qui définissent le peuple du château. [...]
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