Le narrateur vient d'être déclaré apte à travailler dans le camp et son groupe est dirigé vers les douches. Sur le chemin qui mène de la gare à ces douches, il découvre et décrit le camp. C'est une étape cruciale de son expérience qui est ici relatée, celle du passage d'un monde à l'autre. Champ lexical qui indique l'itinéraire tout au long du texte : « la route passait », « nous marchions », « cheminait », « une large route », « brève marche »… C'est donc un moment intermédiaire avant d'arriver au camp, lieu d'emprisonnement qui va arrêter toute avancée, toute progression. D'ailleurs à la fin du texte, une fois arrivé au camp, il n'y aura plus « trace de mouvement ».
[...] Tout est remis en question, par exemple en ce qui concerne la nature. La pelouse verte est celle du terrain de foot, c'est donc un lieu culturel. Ensuite, elle est dite bien entretenue fois), donc par une main professionnelle. L'eau, élément naturel et vital par excellence, s'avère industrielle et altérée produit chimique Ce n'est pas la nature sauvage, mais au contraire organisée par une main humaine scrupuleuse plates-bandes chemin de cailloux petits potagers On voit implicitement la mainmise des dirigeants nazis sur le paysage : tout est tellement parfait et rigoureux le tracé blanc des lignes que ça en devient complètement déshumanisé. [...]
[...] Sa présence est totalement surréaliste dans le camp. Ignorance du narrateur qui se croit encore dans son quotidien régi par des lois normales : après le travail on y jouerait au football On a l'impression d'être dans un rêve d'enfant, notamment grâce à la disponibilité immédiate de ces choses agréables : tout de suite à droite tout était là Le robinet est vu de la même manière que le drap dans l'autre extrait étudié (p. 274-275) : c'est un objet des plus banals et pourtant inespéré dans l'univers du camp : l'objet provoque donc une exaltation disproportionnée par rapport à sa dimension prosaïque. [...]
[...] Kertész prend le contrepied des descriptions généralement faites des SS comme des tortionnaires effrayants. Ton de la constatation neutre avec la route passait puis il y avait une large route Au départ l'aspect carcéral du camp est mis en avant grillagé clôture Le narrateur voit d'emblée cet aspect, puis la description va devenir entièrement positive, comme pour occulter cette première impression déplaisante. Il y a bien la chaleur pénible, mais le narrateur passe outre. La description devient celle d'un endroit paradisiaque, aux antipodes de ce qu'on attend d'une description d'Auschwitz. [...]
[...] De plus, la parfaite ordonnance du lieu est plutôt rassurante. Les choses sont précisément localisées dans l'espace : tout de suite à droite de la route sur le bord gauche le narrateur a donc encore des repères dans ce monde. Alors que tout le texte a décrit ce qui est présent, ce qui est vu, ce qui est attesté, il se termine sur quelque chose qui manque : Il n'y avait pas trace de mouvement Cette dernière phrase est le versant négatif des multiples affirmations qui étaient introduites par il y a il y avait c'était Procédé pour atténuer cette réalité : le mot mort n'est pas prononcé, il est juste suggéré par la tournure négative (litote et euphémisme) : Il n'y avait pas [ ] de vie Cette dernière phrase est ambivalente, car on comprend la présence de la mort dont le lieu est chargé, mais le texte s'achève pourtant sur une note positive avec la notion de vie alors que c'est la mort qui est censée être associée à l'univers du camp. [...]
[...] Kertész inverse les descriptions romanesques classiques, où la vision est censée se préciser au fur et à mesure que le regard approche les choses. Ici, le narrateur parvient mieux à les décrire de loin que de près. Lorsque les choses sont lointaines et donc floues, l'imagination a toute latitude pour améliorer le réel. Le camp a d'ailleurs deux versants, décrits successivement : le bord droit puis le bord gauche. Kertész met ainsi l'accent sur le double aspect du lieu, plein de promesses de vie et qui finalement est reconnu comme mortifère. [...]
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