En quoi consiste ce procédé qui lui permet, touchant des personnes et non pas des groupes, d'être compris et pris en compte par chacun depuis plus de quatre siècles, c'est ce qui occupera un premier mouvement de notre réflexion sur ce texte ; procédé qui assure la pérennité de La Boétie, mais qui est aussi la faille de la solution qu'il propose : et après avoir exploité cette faiblesse par des éléments historiques, nous tenterons de remettre en question les bases de la critique de La Boétie, non pour tenter de réduire sa pensée à néant, mais seulement pour effectuer un déplacement du problème." (...)
[...] A-t-il pouvoir sur vous, qui ne soit de vous-mêmes ? Comment oserait-il vous assaillir, s'il n'était d'intelligence avec vous ? Quel mal pourrait-il vous faire, si vous n'étiez les receleurs du larron qui vous pille, les complices du meurtrier qui vous tue et les traîtres de vous-mêmes ? Vous semez vos champs pour qu'il les dévaste, vous meublez et remplissez vos maisons pour fournir ses pilleries, vous élevez vos filles afin qu'il puisse assouvir sa luxure, vous nourrissez vos enfants pour qu'il en fasse des soldats dans le meilleur des cas, pour qu'il les mène à la guerre, à la boucherie, qu'il les rende ministres de ses convoitises et exécuteurs de ses vengeances. [...]
[...] Ce maître n'a pourtant que deux yeux, deux mains, un corps, et rien de plus que n'a le dernier des habitants du nombre infini de nos villes. Ce qu'il a de plus, ce sont les moyens que vous lui fournissez pour vous détruire. D'où tire-t-il tous ces yeux qui vous épient, si ce n'est de vous ? Comment a-t-il tant de mains pour vous frapper, s'il ne vous les emprunte ? Les pieds dont il foule vos cités ne sont-ils pas aussi les vôtres ? [...]
[...] Car si, dans la dialectique du maître et de l'esclave de Hegel, la simple renonciation d'un esclave à la servitude fait tomber un maître qui ne l'était que parce que l'esclave acceptait son statut, c'est pour la bonne raison qu'il n'y a qu'un seul esclave, et que le maître se repose tout entier sur lui. Dans la domination des peuples, il en est tout autrement : le peuple n'est qu'un lorsqu'il se fait dominer, mais si la délivrance à la servitude dépend du vouloir de chacun, alors pour que cette délivrance soit effective, il faudrait que chaque dominé cesse de vouloir l'être en même temps que les autres. [...]
[...] C'est pour cela que la véritable essence et la plus grande qualité du Discours de la servitude volontaire est l'éloquence, sans nul doute ce qui lui a apporté sa popularité, sa longévité et sa valeur. [...]
[...] Or s'il est des discours devenus vivants, le Discours de la servitude volontaire d'Etienne de la Boétie est assurément l'un d'entre eux. Manifeste contre la tyrannie, ce discours a été, du XVIe siècle jusqu'à nos jours, l'objet de distorsions, non pas par un changement de contenu, mais par un changement de contexte : revendiqué par des idéologues calvinistes, puis par les acteurs de la Révolution Française, et parfois considéré de nos jours comme le précurseur de l'anarchie, ce Discours est pourtant très délicat à ancrer dans l'histoire, son auteur étant à la limite de l'anachronisme de par son avance sur son époque. [...]
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