Conseiller au parlement de Bordeaux, Montaigne (1533-1592) se lie d'amitié avec La Boétie qu'il rencontre en 1558. Marqué par la mort de son ami puis par celle de son père, il se retire en 1571 pour écrire ses Essais (1580), ensemble de réflexions faites à partir de ses expériences personnelles. En humaniste qu'inspirent les auteurs antiques, il s'interroge dans le chapitre 19 du Livre II sur la manière de se maintenir au pouvoir dans une France embrasée par les guerres de religion. Comment dans cet extrait démontre-t-il qu'en parlant d'une époque ancienne, on peut éclairer un thème contemporain voire intemporel ? (...)
[...] Il intègre la pensée d'autrui comme c'est souvent le cas dans le genre de l'essai. Ce raisonnement inductif lui permet de tirer une leçon générale introduite par on peut dire à la ligne 18. Comme tout essayiste, son écrit est fortement enraciné dans l'actualité mais il veut aussi se distancer pour tirer un enseignement large qui dépasse le contexte conjoncturel et livrer une réflexion philosophique vivante. Délibératif, il part d'un exemple du passé pour clarifier le présent et discerner l'évolution possible et la stratégie préférable. [...]
[...] Il se réfère à Julien pour affirmer que le péril vient de l'homme. Il use de la métaphore filée du peuple animalisé pour montrer qu'il est incapable de se diriger tout seul et doit être éduqué. Ainsi, il se réfère à aiguillon (l.24) qui est un bâton pour faire avancer les bœufs et préconise de lâcher la bride (l.18) du peuple comme on libère un bœuf ou un cheval. Il utilise sciemment le présent de vérité générale dans le constat il n'y a point de bête au monde qui soit tant à craindre pour l'homme que l'homme (l.13/14) pour en faire une formule universelle. [...]
[...] Durant les guerres, l'autorité royale ne cesse de réduire face aux gouverneurs des provinces, la monarchie est prise en étau entre les Guise, catholiques et les Condé, protestants. Le roi doit donc composer pour réconcilier protestants et catholiques et pouvoir ainsi conserver le pouvoir. stratégie politique : Face à un risque analogue, l'empereur Julien - qui pourtant paraît très directif comme l'atteste l'autorité qui transpire des termes forte imposa avertit instamment (l.7) - opte au siècle pour autoriser la liberté de conscience (l.17), titre du chapitre 19 dont est extrait ce passage. [...]
[...] Cette stratégie par la libéralisation du culte est de nouveau utilisée dans la seconde moitié du XVI° siècle par la régente Catherine de Médicis mais l'objectif est inverse : il ne s'agit plus d'attiser le trouble civil pour finalement l'amollir mais de calmer les divisions pour régner dans une France pacifiée. Montaigne avance ainsi qu'en politique, une même décision peut par deux effets contraires, permettre le rétablissement de l'ordre public. Mais il ne s'agit que d'une concession temporaire. Rappelons que Montaigne était conservateur dans le sens où il souhaitait la restauration de l'unité chrétienne. Un traité transitoire était pour lui préférable à la guerre civile ou à l'athéisme, provoqués par les divisions. Ici, la liberté de conscience n'est pas le droit de penser librement comme aujourd'hui. [...]
[...] Une même recette, deux effets contraires pour une même fin : la conservation du pouvoir. Ce thème avait été abordé en 1532 par Machiavel dans le chapitre 17 du Prince où il affirmait au contraire qu'« il est plus sûr d'être craint que d'être aimé car le prince tient sa puissance de la peur qu'il véhicule. Mais là où Montaigne rejoint Machiavel, c'est qu'il faut savoir régner avec modération. Ainsi ce dernier précisait-il qu'il faut se garder d'être trop craint de tous afin de ne pas s'attirer de haines trop dangereuses pour la stabilité de son pouvoir. [...]
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