Ce passage des Essais se situe dans le livre II, au chapitre 6. Dans l'édition de Françoise Joukovski, qui extrait quelques passages des Essais et les ordonne par thèmes, il s'agit de la transition exacte entre la réflexion sur la célèbre formule de Cicéron : « philosopher, ce n'est autre chose que s'apprêter à la mort » (Livre 1) et la vision de la mort en tant que processus inhérent à l'homme qui, constamment changeant, meurt à chaque instant pour devenir autre (Livre III, De l'expérience). Ce texte s'insère donc entre deux visions plutôt philosophiques de la mort en voie d'être appréhendée, sinon acceptée. Ce passage s'inscrit également dans le contexte des nombreuses guerres de religion qui frappent la France au temps de Montaigne. Implicitement, cet événement touche d'autant plus l'auteur qu'il suit également une succession de deuils qui touchent ses proches : son père est décédé quelques années auparavant, mais aussi La Boétie, son ami d'enfance, ainsi que le Tasse, poète italien, deux défunts qu'il évoque dans ce passage. L'accident de cheval survient donc à une période où Montaigne s'interroge sur la mort et les éventuelles douleurs qu'elle suppose.
[...] Le même adjectif choisi pour le futur accidenté et son cheval souligne que leur sort est lié. Cependant, davantage de gravité touche le sort de Montaigne : alors que le cheval n'est qu'« étourdi Montaigne se dit mort meurtri tombé inerte à quelques mètres de l'endroit de la collision. B. L'hypothèse de la mort renforcée par le processus d'écriture C'est tout un champ lexical du corps qui vient appuyer cette hypothèse d'un décès : il est question de visage écorché de main de ceinture de bras d'« estomac de pieds Le choc a frappé le petit homme dans la totalité de son corps, de la tête aux pieds en incluant la taille (dont l'accessoire a été broyé), et les extrémités (les mains paralysées ont lâché l'épée), comme le ferait une mort subite. [...]
[...] C'est le cas de Montaigne qui ne trouve donc pas les évanouis à plaindre. Pour se justifier, il cite Ovide : Il vit, mais il n'est pas conscient de sa propre vie (tristes). Dans cet état second de semi-conscience, cette agréable pensée de béatitude, ce désir de laisser-aller, Montaigne est ramené chez lui, où chacun s'inquiète, pour les raisons évoquées plus tôt, de le voir dans cet état. Alors que son esprit le berce dans le néant de l'insouciance, dans la légèreté de ses divagations, on lui apprendra qu'il a non seulement pu répondre aux questions de son entourage, mais qu'en plus, pendant le chemin du retour, il a eu la présence d'esprit de demander qu'on octroie un cheval à sa femme qu'il voyait peiner dans le sentier sinueux. [...]
[...] Lorsque beaucoup assistent aux démonstrations macabres de condamnés accablés de la longueur du mal les voient rommeler ou entendent leurs soupirs tranchants Montaigne considère que le malade n'a ni conscience de la douleur ni connaissance de la manière dont il réagit. C. L'état de semi-conscience et l'indépendance des sens Dans l'état de trouble suite au choc, le corps et l'esprit réagiraient à l'insu du mourant, qui, même rétabli, n'en garde aucun souvenir. Il est vrai que rien ne présume que le malade est conscient de ses faits et gestes. [...]
[...] Les Essais, livre II, chapitre 6 - Montaigne: Une mort bienheureuse Introduction Le récit d'un accident déconcertant Montaigne et le choix de son cheval : une identification possible ? L'hypothèse de la mort renforcée par le processus d'écriture Un état de confusion Une expérience positive sous la plume de Montaigne Renaissance de l'âme, récupération des sens Une approche laudative de l'expérience de mort L'état de semi-conscience et l'indépendance des sens Une conception de l'existence modifiée Un accident bénéfique aux effets durables Le regret d'« une mort bienheureuse ? [...]
[...] Conclusion Ainsi donc, force est de constater que Montaigne, à l'aide de cette expérience involontaire, transcende sa pensée. La mort n'est plus cette faucheuse inconnue qui lui a volé ses proches et hante son futur. Désormais, Montaigne sait que la mort peut-être douce, indolore, agréable, et que c'est le fait de la croire si violente, à travers les réactions de ses victimes, qui la rendent si effrayante. L'authenticité de cette expérience que l'on sait autobiographique rend dérisoire, tous les écrits théoriques qui ont exploré la mort d'un regard extérieur. [...]
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