Essais II 12, Michel de Montaigne, apologie de Raymond Sebond, dogmatisme, pyrrhonisme, théologie, raison, logique universelle, présupposé sceptique, humanisme, commentaire de texte
Au cours de ce passage, Montaigne se livre à une critique (de krinein : séparer le bon grain de l'ivraie) de l'affirmation lato sensu en renvoyant dos à dos dogmatisme et pyrrhonisme, toujours dans la perspective de l'objection qu'il entreprend au cours de cette "Apologie pour Raimond Sebond" : celle d'une théologie mieux fondée en raison. Car Montaigne n'accepte pas l'optimisme rationaliste de Raymond Sebond, ce dernier faisant la part trop belle à la raison ; ce faisant, il critique la prise de position de ce dernier en faveur d'une raison souveraine, qui n'est autre qu'une conception héritée des scolastiques. Toutefois, la voie pyrrhonienne est également insuffisante.
Montaigne adopte en première apparence la position du tout-venant armé de son seul sensus communis se conformant à l'exigence du bon sens par opposition au docte savoir scientifique, non pas ennemi des idées claires et distinctes, mais bien plutôt garant de la logique universelle tout en étant le plus petit dénominateur commun des opinions de têtes bien faites plutôt que de têtes bien pleines. Le sens commun est extraphilosophique et se préserve de l'opiniâtreté.
[...] Poursuivant son procès attenté au langage, Montaigne s'en vient critiquer l'acte de monstration : « le doubte du sens de cette syllabe, HOC » (l.10- 11). Force est ici de constater le scepticisme ontologique de Montaigne : le principe de non-contradiction et l'acte de monstration aristotéliciens témoignent d'un fort présupposé ontologique : le discernement, et, par suite, la désignation d'une chose, nous renseigne déjà sur ce qu'elle est négativement : en disant que ceci n'est pas cela, on sait déjà que ceci n'est pas cela : la substance appartient au monde phénoménal, mais reste immanente bien qu'insaisissable puisqu'elle est définie au négatif sur le plan phénoménal selon Aristote. [...]
[...] C'est toujours par des biais sensibles que nous nous élevons à la connaissance de l'Être suprasensible. Montaigne nous prévient de vouloir prêter des lois à la divinité qui est bien supérieure à nos faibles conceptions. La théologie ne devrait que peu se prêter à l'examen : « il faut sobrement juger les ordonnances divines ». II. Un réquisitoire vertueux de l'aspect dogmatique du langage : le ratio en quête de sa propre mystification Dans un deuxième temps, Montaigne prend soin de prendre ses distances avec les arguments, la raison étant pour lui un corps divers et difforme accouchant d'une rhétorique à part entière, toute empreinte d'étrangetés abstraites qui contreviennent au sens commun, et par là défient certaines évidences primordiales. [...]
[...] Montaigne s'en prend aux grammairiens. Selon ceci : nous sommes soumis au devenir et ne pouvons nous extraire du changement permanent ; mais le devenir s'insère mal dans le cadre du langage qui ne le restitue que peu et rend plutôt compte de l'altération qualitative d'un objet fixe à un autre qu'opère le changement. Sous ce qui advient extensivement, l'esprit cherche ce qui résiste au changement : la qualité définissable, l'eidos qui se caractérise par la qualité, la forme ou l'essence et le but de l'acte s'accomplissant, ce qui correspond aux trois catégories du langage que sont l'adjectif, le substantif et le verbe ; autant de moments stables pris sur l'instabilité des choses : la qualité est un point de la droite du changement, la forme un moment de l'évolution, l'essence l'étalon de l'altération des formes, et le verbe l'anticipation de l'action dans son accomplissement : le langage ramène les choses aux Idées, cristallise des moments de la fluctuation comme si ce qu'il visait était mis entre parenthèses et s'exceptait ainsi de l'écoulement. [...]
[...] Montaigne, plus pyrrhonien que les sceptiques ? Une hyperbole du doute, au-delà de la suspension du jugement Montaigne, ayant pointé les insuffisances de la spéculation logique en termes de recherche de la vérité, sa défaillance heuristique inhérente, en vient se mesurer aux pyrrhoniens qui se sont faits parmi les plus grands détracteurs du logos. Peut-on affirmer, à la vue des arguments déployés en ce passage, qu'il soit des leurs ? À vrai dire, si Montaigne lutte contre les prétentions rationalistes, il combat aussi le scepticisme pyrrhonien : il ne peut être en faveur d'un avis dogmatique non plus que plaider pour la suspension totale du jugement. [...]
[...] La prétention du savant étant plus grande que celle du commun, le premier a moins de faculté d'autocontradiction et de doute qui purge l'homme des illusions de certitude de la raison (présupposé sceptique). À l'opposé, si la voie pyrrhonienne semble séduisante elle présente, elle aussi, des écueils pour l'exercice du jugement. Quelle est alors l'alternative que suggère Montaigne afin de sauvegarder le jugement de la présomption et de le préserver de l'invalidité sceptique ? I. Critique du discours interprétatif sur Dieu : examen de la logique du théologique Montaigne, dans cette première partie, ne se fait pas contempteur de la foi, mais se garde des querelles théologiques en les surplombant. [...]
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