La question liminaire que pose l'essai de Jean Starobinski est celle du rapport de Candide à la réalité de son époque. En effet, les premières lignes qui postulent que ce « récit » de Voltaire n'est pas si coupé du monde que sa désignation habituelle de « conte philosophique » (appellation qu'il n'emploiera donc jamais) voudrait le faire croire appellent un examen du style et de la structure de Candide.
A première vue, Candide semble n'entretenir avec la réalité de son époque qu'un rapport très lointain et rendu flou par la fantaisie et la bouffonnerie de ses objets. Il est vrai que tant les noms des personnages (Candide lui-même, le Baron de Thunder-ten-Tronckh) que les situations extravagantes (expulsion de Candide pour un baiser qui n'est pas de son fait) ou même absurdes (« Monsieur le baron était un des plus puissants seigneurs de Westphalie car son château avait une porte et des fenêtres ») paraissent bâtir un récit hors de la réalité, ou s'y référant par simple clin d'œil (tel le nom de l'esclavagiste Vanderdendur qui rappelle celui d'un libraire hollandais Van d'Uren avec qui Voltaire s'était brouillé, ou encore la similitude entre l'attitude du baron Thunder-ten-Tronckh et celle du chevalier de Rohan qui avait fait bastonner Voltaire comme le baron frappe Candide). Mais il ne faut pas s'y tromper, souligne Starobinski : ces allusions ne sont que la partie émergée de l'iceberg et, en vérité, rien n'est laissé au hasard dans Candide. Tout ce qui constitue les aventures de Candide trouve sa source dans la réalité connaissable du XVIIIe siècle.
[...] L'ironie dans Candide repose est plus que de la simple dérision formelle, plaisante et gratuite. Certes elle apparait au fil du récit dans des formules antiphrasiques, définition de base de l'ironie au sens étroit, et souvent associées à des oxymores telle l'expression que cite Starobinski un bel autodafé ou encore la clémence qui sera louée dans tous les journaux et tous les siècles du roi Bulgare qui gracie Candide ; mais il existe dans Candide une ironie générale du texte dotée d'une fonction d'arme offensive et qui réside moins dans des exemples précis de stylistique que dans le processus de distanciation implicite le dédoublement de Voltaire pour mentionner un autre discours donné pour inadéquat, pour faire entendre une seconde voix qui serait responsable de ce discours ridicule selon une des définitions que donne Nicolas Laurent de l'ironie. [...]
[...] Commentaire de l'essai de Jean Starobinski : Sur le style philosophique de Candide La question liminaire que pose l'essai de Jean Starobinski est celle du rapport de Candide à la réalité de son époque. En effet, les premières lignes qui postulent que ce récit de Voltaire n'est pas si coupé du monde que sa désignation habituelle de conte philosophique (appellation qu'il n'emploiera donc jamais) voudrait le faire croire appellent un examen du style et de la structure de Candide. Le fusil à deux coups de l'ironie voltairienne A première vue, Candide semble n'entretenir avec la réalité de son époque qu'un rapport très lointain et rendu flou par la fantaisie et la bouffonnerie de ses objets. [...]
[...] D'autre part, la thématique de la dualité parcourt Candide : au niveau du récit, on peut remarquer avec Starobinski le fonctionnement par paires des personnages, les figures couplées, le ballet des comparses qui entrent et sortent par deux et la liste d'exemples est longue : deux racoleurs, deux rois ennemis (l'Arabe et le Bulgare), le Familier de l'Inquisition et son estafier, le Grand Inquisiteur et Don Issachar, Cunégonde et la Vieille, deux filles poursuivies par deux singes, Giroflée et Pâquette, deux filles au service de Pococurante, le jeune Baron enchaîné aux côtés de Pangloss, les deux fils et les deux filles du bon vieillard etc. A ce trait de dualité simultanée qui crée la symétrie se superpose l'effet de disparité Cette irrégularité au sein même de la régularité est le caractère fondamental de l'esthétique rococo. [...]
[...] Non, d'abord parce que cette consolation n'est pas incluse dans le mal elle est un nouvel épisode, certes conclusif, des aventures de Candide, mais non une solution déjà contenue dans ses péripéties ; elle apparente donc davantage à un petit carré de mosaïque qu'à un reflet de miroir ; elle est comprise dans la logique linéaire de défilé et non dans celle de mise en abyme. Si c'est un remède, il n'est donc qu'extérieur au mal : un véritable remède dans le mal aurait été l'adoption ou la création par Candide d'une autre philosophie déjà contenue dans l'optimisme. [...]
[...] En effet, qu'on le considère comme une de ses nuances ou comme un style à part entière, le rococo a hérité du goût du baroque pour les torsions, le mouvement et l'irrégularité sans le chaos. Esthétique pourtant peu répandue en littérature, Candide en est une véritable illustration, comme en témoignent les rapports d'asymétrie, de déséquilibre et de contraste entre les différents personnages du récit, ou même à l'intérieur d'un seul personnage (Pangloss est borgne et il manque une fesse à la Vieille, rappelle Starobinski) ; entre les différentes aventures de Candide, entre ses différentes situations notamment financière et amoureuse qui passent continuellement par des bas et des hauts, entre perte et retrouvailles, joie ou déception d'avoir et désir de posséder. [...]
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