Barthes a beaucoup étudié le domaine du sens, et en débordant le concept il a débouché sur des paradoxes tels que celui du sujet vide qui contient tout, du signe vide auquel toute signification peut être attribuée. De telles absences de sens, il en a trouvé tout un monde au Japon ; le Japon était plein de signes vides.
C'est ce qu'il nous explique dans "L'empire des signes", œuvre dans laquelle il organise un va-et-vient incessant entre l'Occident monothéiste et un Orient magnifié où le signifiant est toujours en circulation. Dans le bunraku, traditionnel théâtre de marionnettes, on trouve la théâtralité pure. Le théâtre était pour Barthes une zone où l'on peut refuser le sens lui-même, promulguant le ludique et refusant le tragique.
[...] C'est le principe de l'écriture alla prima, qui régit tout le système japonais. En effet l'écriture même répond de ce principe, où la correction est impossible : une écriture au pinceau qui n'est pas effaçable, dont le trait exclut la rature ou la reprise. Ainsi, le trait d'écriture est la pensée immédiate, et non une écriture retravaillée maintes fois afin d'exprimer ce que l'on pense le plus juste. Barthes retrouve ce principe dans le Pachinko, où la bille lancée ne peut être déviée. [...]
[...] Le Bunraku est enfin et surtout pour Barthes un théâtre qui procède à l'exemption du sens. En effet, ce théâtre de marionnettes ne subvertit pas directement le rapport entre la scène et la salle à la manière de Brecht, mais il détruit le lien qui existe en occident entre le personnage et l'acteur, et qui permet l'intériorité et ainsi l'identification du spectateur au personnage. Les manipulateurs sont visibles et ne cherchent pas à se cacher. Ils tiennent chacun leur rôle à la perfection sans affection d'habileté ou de discrétion. [...]
[...] De plus, Barthes insiste sur le fait que les récitants expriment le texte. Entre parole et chanson, la voix donne toute l'expression du texte. Le corps du récitant reste immobile, derrière son lutrin, et reproduit toute l'expressivité du texte, de la voix affolée de la jeune femme à la colère d'un démon. Il est intéressant de noter qu'aucune femme ne participe à ce théâtre, et les hommes formulent alors eux même les voix féminines, poussant dans les aigus leur virtuose vocale. [...]
[...] Il fait référence dans L'Empire des signes à une autre forme traditionnelle du théâtre japonais : le nô. Dans ce théâtre codé, le visage du shité est masqué. Ce visage peint congédie tout signifié, et ainsi toute expressivité. Il ne se prête à aucun sens, pas même l'impassibilité ou l'inexpressivité ; ce qu'il montre, ce n'est rien. La femme étant absente de ce théâtre, les hommes jouent les rôles féminins. Mais ici encore, le travesti est un pur signifiant dont le signifié n'est pas clandestin, mais simplement absenté. [...]
[...] Il n'engage aucune signification, il ne promet le dévoilement d'aucunes vérité ni d'aucuns sentiment. Il se caractérise par sa brièveté et sa simplicité. La forme est proportionnée à l'objet : le signifiant est en adéquation avec le signifié, chacun étant le vide. C'est la coupure du langage, agissant sur la racine même du sens pour que celui-ci ne fuse pas, ne divague pas dans les sphères du symbole. Cette exemption du sens s'accomplit à travers un discours parfaitement lisible, il s'agit d'une vision sans commentaires se réduisant à la pure désignation, sans description ni définition. [...]
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