Il est vrai qu'on a l'impression d'un lieu inconfortable et désagréable, à l'image de certains vers très explicites. Il y règne notamment des bruits incessants (vers 27 : "Bat", vers 28 : "Les sifflets crus", vers 29 : "Hurlent", vers 32 : "sonnent aux entrechocs", vers 22 : "grincent" et vers 49 : "le vacarme"). S'y ajoute l'évocation de la pollution (vers 26 : "naphte", "poix") qui amène le lecteur vers une représentation de la ville inscrite dans un véritable halo de poussière et de fumée (vers 2 : "du fond des brumes", vers 28 : "le brouillard", vers 49 : "la poussière" et vers 24-25 où l'on comprend que le charbon et la fumée empêchent de voir la lumière du Soleil).
De plus, la répétition de la phrase "C'est la ville tentaculaire" aux vers 15 et 50 compare la ville à un monstre (vers 22 : "des yeux monstrueux d'or") qui attrape tout (vers 1 : "Tous les chemins vont vers la ville") et le ramène à lui grâce à ses tentacules (vers 46 : "Les rails ramifiés", vers 48 : "en réseaux").
D'autres expressions renforcent la ville dans son côté peu attirant, incertain, sombre voire malsain (vers 6 : "elle s'exhume", vers 11 : "des faces de gorgones", vers 37 : "un gibet sombre", vers 34 : "des cubes d'ombre", vers 46 : "rampent sous terre", vers 47 : "des tunnels et des cratères").
De surcroît, certains passages tendent à assimiler la ville à un lieu typiquement sorti de l'enfer. Cela passe notamment par l'évocation de la chaleur (vers 18 : "Des clartés rouges", vers 21 : "Même à midi brûlent encor", vers 35 : "des sous-sols de feu", vers 38 : "des lettres de cuivre", vers 47 "des cratères", vers 48 : "en réseaux clairs d'éclairs") (...)
[...] Dehors, une lumière ouatée, Trouble et rouge, comme un haillon qui brûle, De réverbère en réverbère se recule. La vie, avec des flots d'alcool est fermentée. Les bars ouvrent sur les trottoirs Leurs tabernacles de miroirs Où se mirent l'ivresse et la bataille; Une aveugle s'appuie à la muraille Et vend de la lumière, en des boîtes d'un sou; La débauche et la faim s'accouplent en leur trou Et le choc noir des détresses charnelles Danse et bondit à mort dans les ruelles. [...]
[...] Inspirés par ces bouleversements, les poètes de l'époque trouvent dans cette mutation un nouveau souffle pour l'écriture littéraire : c'est la poésie de la modernité. Véritables "fenêtres" sur le monde, des auteurs comme Apollinaire, Larbaud ou Cendrars s'inspirent de la civilisation et du monde moderne pour faire l'éloge des trains, des chemins de fer ou des villes. L'apparition de nouveaux thèmes de société a conduit à la naissance de nouvelles formes d'expression (vers de longueur irrégulière, rimes souvent remplacées par des assonances, modification voire suppression de la ponctuation, jeux de répétitions) caractéristiques de la poésie de la modernité. [...]
[...] La Ville Tous les chemins vont vers la ville. (vers Du fond des brumes, Là-bas, avec tous ses étages Et ses grands escaliers et leurs voyages Jusques au ciel, vers de plus hauts étages, Comme d'un rêve, elle s'exhume. Là-bas, Ce sont des ponts tressés en fer Jetés, par bonds, à travers l'air; Ce sont des blocs et des colonnes Que dominent des faces de gorgones; Ce sont des tours sur des faubourgs, Ce sont des toits et des pignons, En vols pliés, sur les maisons; C'est la ville tentaculaire, Debout, Au bout des plaines et des domaines. [...]
[...] D'autre part, les ponts tressés (vers les poteaux les mâts (vers 20) et les mâts touffus (vers respectivement assimilés à des lianes et à des arbres évoquent un aspect naturel (vers 17 : plaines vers 27 : bois vers 31 : Vers l'océan et les espaces qui renforce le visage positif de la ville. [...]
[...] Par au-dessus, passent les cabs, filent les roues, Roulent les trains, vole l'effort, Jusqu'aux gares, dressant, telles des proues Immobiles, de mille en mille, un fronton d'or. Les rails ramifiés rampent sous terre En des tunnels et des cratères Pour reparaître en réseaux clairs d'éclairs Dans le vacarme et la poussière. C'est la ville tentaculaire. (vers 50) La rue et ses remous comme des câbles Noués autour des monuments Fuit et revient en longs enlacements; Et ses foules inextricables Les mains folles, les pas fiévreux, La haine aux yeux, Happent des dents le temps qui les devance. [...]
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