Jean Giraudoux publie en 1937, Electre, pièce tragique en deux actes. Alors qu'Electre, fille d'Agamemnon, doit épouser le jardinier sous l'ordre d'Egisthe, un étranger fait son apparition. Dans la présente scène numéro 3, Egisthe s'exprime sur les dieux qui punissent à l'aveugle... selon lui, la meilleur façon d'éviter de tels tracas est encore de ne pas "faire signe" à ceux-ci. Sa longue tirade permet au lecteur de se questionner sur l'image qu'il donne de lui-même, d'une part, mais aussi d'explorer celle concernant l'homme politique qu'il se trouve être. Pour cela, nous étudierons Egisthe en tant qu'homme commun doué de sentiments et, ensuite, son rôle de dirigeant prenant des décisions particulières.
[...] Ces trois personnages, tour à tour, se questionnent et remettent en cause l'ordre pré-établi, ont un esprit qui divague et veulent un autre idéal ou encore préfèrent le quitter. Il semblerait que, par : "j'ai toujours feint", Egisthe ne craint pas le courroux divin ; sans doute croit-il au dieux mais il ne les craint pas et semble même les déprécier : pour lui, c'est la justice des tribunaux qui prime et non celle de quelque entité supérieure. En effet, il ne parle même pas de justice divine mais de "vengeance" . pour Egisthe c'est la volonté humaine qui doit faire loi. [...]
[...] Ils lui déplaisent car ils "se séparent de la troupe" et "montent sur une éminence". Les métaphores de la lanterne et du drapeau prennent alors des significations symboliques. La lanterne, source de lumière, vient illuminer les nuées sombres . la culture de ces hommes serait alors cette lumière guidant le peuple à travers la noirceur de l'ignorance. Comme chez Baudelaire, les artistes deviendraient des meneurs, des gens qui brillant par leur science, doivent être écoutés. Le drapeau, quant à lui, symbole de liberté et d'engagement, évoque encore une fois le rôle "salvateur" des génies qu'Egisthe décrie car ils ne rendent pas la cité prospère. [...]
[...] le pronom personnel nous fait songer à une autocratie. Egisthe, secondé du tribunal, prend pourtant les pleins pouvoirs. "Mes sanctions" est mise en valeur et l'on constate que sa définition de justice est particulière : en effet, le tribunal le soutient aveuglement. Comment parler alors de droiture quand l'oppresseur applique les peines de manière clandestine : "Et je ne montre pas mes supplices en évidence" ? Egisthe ne supprime pas seulement les intellectuels en leur retirant leur droit d'expressions (possibles autodafés) mais aussi physiquement : "Pas d'exil. [...]
[...] On peut voir dans le nivellement existant une métaphore de l'intellect : le penseur que sa culture fait monter sur un promontoire, l'est aussi métaphoriquement par son esprit qui le hausse plus haut encore. Egisthe que ses turpitudes forcent à rester caché au plus bas, réalise des actions tout aussi peu honorables. Il critique le rôle de "boxeurs aveugles" des dieux sans se rendre compte de l'analogie existante avec lui . et il ne semble pas décidé à changer les choses qui durent déjà "depuis dix ans". Crucifier ainsi ses victimes, référence à Jésus-Christ, dans les bas-fonds lui évite qu'elles soient érigées en tant que martyres. [...]
[...] la démocratie n'existe plus. C'est l'intérêt de la Nation qui prime et non la quête du savoir, qu'Egisthe dénigre. L'embrigadement lui permet de gouverner sa "troupe", bétail humain qui doit penser comme on lui a dicté. On peut trouver une analogie entre son statut tyrannique et les régimes politiques du temps de Giraudoux ; au XX ème siècle se développent l'Allemagne nazie, l'Italie fasciste ou encore l'Espagne franquiste. Ce rapprochement n'en rend que plus alarmants les contestations : les mesures prises par Egisthe étant funeste ("supplices"), on ne peut imaginer le sort réservé à Electre qui est, selon le dirigeant, la mieux placée pour faire signe aux dieux et donc briser la prospérité de sa cité, à laquelle il tient tant ("troupe", "différences", "fixité", "même atmosphère égale"). [...]
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