La gestation des oeuvres de Flaubert fut toujours particulièrement longue. Après deux ébauches, la première version complète de son roman L'Education sentimentale, à fortes références autobiographiques, est achevée en 1845, mais ne sera publiée qu'à titre posthume. Flaubert portera pendant plus de vingt ans la version finale, rédigée seulement entre 1864 et 1869 et qui paraît avec le sous-titre « Histoire d'un jeune homme ».
Le passage que nous avons à étudier se situe au chapitre 1 de la première partie, plus précisément à la quatrième page du récit. S'y produit l'événement majeur de la vie du personnage principal : la rencontre avec Mme Arnoux. D'où l'intérêt d'examiner d'abord la nature du portrait qui est fait de la femme aimée, avant d'analyser le rôle du narrateur, - le personnage (Frédéric Moreau) qui peint ce tableau -, mais aussi son double, l'auteur (Gustave Flaubert) qui se dissimule derrière une ironie subtile.
1ère partie - Le portrait élogieux de la femme aimée :
En empruntant toutes les caractéristiques d'une description picturale, qui donne accès à une vision surnaturelle, la représentation de la femme aimée correspond parfaitement au genre de l'éloge : discours, oeuvre, qui fait voir la beauté d'une personne, pour susciter l'admiration.
1) Une description picturale :
a) Les références à un tableau :
Les références à la peinture sont abondantes dans notre extrait. Une palette de couleurs illumine les phrases : « rubans roses - bandeaux noirs - tachetés de petits pois - air bleu - peau brune ». Cet ensemble baigne dans une atmosphère de douceur et de transparence : « la lumière traversait - palpitaient au vent - sa robe de mousseline claire - sur le fond de l'air ». De même, le champ lexical des formes se décline dans tous les sens : horizontal avec « banc - bandeaux - nez droit - se découpait - rivière - doigts » ; vertical (...)
[...] majesté, agrandissement: La majesté de la femme se révèle d'abord par son attitude hiératique : elle ressemble à une statue dont le nez droit évoque un profil grec. En effet, la présentation recourt largement au registre hyperbolique. Les substantifs apparition - splendeur séduction - finesse l'éblouissement ébahissement appartiennent au champ lexical de la beauté ou de ses effets, et possèdent tous une connotation laudative. Les adjectifs large chapeau grands sourcils chose extraordinaire ouvrent sur le domaine de l'amplification. Les adverbes très bas - amoureusement - jamais contiennent une valeur superlative absolue, encore renforcée pour jamais par la position en début de paragraphe grâce à l'inversion. [...]
[...] Texte à commenter : l'Education sentimentale de FLAUBERT (Ière partie, chapitre Ce fut comme une apparition : Elle était assise, au milieu du banc, toute seule ; ou du moins il ne distingua personne, dans l'éblouissement que lui envoyèrent ses yeux. En même temps qu'il passait, elle leva la tête ; il fléchit involontairement les épaules ; et, quand il se fut mis plus loin, du même côté, il la regarda. Elle avait un large chapeau de paille, avec des rubans roses qui palpitaient au vent, derrière elle. [...]
[...] l'importance du regard : Le thème du regard apparaît d'abord par le champ lexical de la vue : apparition - distingua éblouissement - ses yeux il la regarda observer il n'avait vu Ce vocabulaire visuel est complété par une profusion de notations spatiales au milieu plus loin du même côté derrière elle très bas sur le fond de droite et de gauche tout près contre auxquelles est associée une cascade de verbes de mouvement : lui envoyèrent elle leva la tête qu'il passait il fléchit quand il se fut mis palpitaient contournant descendaient presser , se répandait broder il fit plusieurs tours il se planta traversait Une telle accumulation souligne la fascination du personnage : il est enivré comme un papillon par la lumière. La rencontre amoureuse, étape essentielle de l'éducation du jeune homme, se concrétisera, quelques lignes plus loin dans le roman, par un véritable échange des regards. [...]
[...] Une même dévaluation peut être devinée dans la première comparaison du texte. En lecture à haute voix exercice que pratiquait souvent l'ermite de Croisset le rapprochement des mots comme et une peut inviter à entendre l'adjectif fusionné commune c'est-à-dire banale, insignifiante, formant avec apparition là encore un oxymore. En jouant sur le sens propre, concret (décorer des tissus) et le sens figuré, abstrait, du verbe broder (enrichir de détails fournis par l'imagination, exagérer), Flaubert rend son personnage victime de son imagination. [...]
[...] L'éloge demeure toujours l'hommage rendu à celui qui, par son talent, son courage ou son dévouement, suscite l'admiration. Faire voir la beauté d'un lieu ou d'une personne. Procédés de l'éloge = emploi de vocabulaire emphatique ou mélioratif ; amplification ; modalisation marquant l'enthousiasme et l'admiration ; exclamations ; images élogieuses. [...]
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