L'éducation sentimentale, Flaubert, Histoire d'un jeune homme, Madame Arnoux, incipit du roman, idéal féminin
En 1869, Flaubert fait paraître « L'Éducation sentimentale », son deuxième roman moderne après « Madame Bovary », où il transpose ses souvenirs personnels sur un mode impersonnel. Le sous-titre est « Histoire d'un jeune homme ». On découvre donc un jeune homme face à la vie, son apprentissage du monde et de l'amour, ses aspirations, expériences et désillusions. Mais cette œuvre, fruit également d'un long travail de documentation, de composition et de style, durant cinq ans, relate aussi la faillite de toute une génération qui arrive à l'âge d'homme, au moment où l'aspiration révolutionnaire de 1840 se brise sur l'échec de la Révolution de 1848 et le début du Second Empire. Frédéric Moreau, le personnage principal du roman, ressemble partiellement au Flaubert de 1840, lyrique, idéaliste, grand sentimental ; venu faire difficilement son droit à Paris, rêvant tantôt la gloire littéraire, tantôt une brillante carrière, il est hanté par Madame Arnoux. Il l'a rencontrée sur un bateau, accompagnée de son mari et de ses enfants, alors qu'il rentrait de Paris à Nogent-sur-Seine. Cette grande passion persistera toujours en demeurant inactive. Frédéric connaîtra donc quelques liaisons éphémères, abandonnera ses idéaux, et traversera sans les voir vraiment la révolution de 1848 et le coup d'État de 1851 de Louis Napoléon Bonaparte.
[...] ni la finesse des doigts que la lumière traversait ou Elle avait un large chapeau de paille, avec des rubans roses . Ses bandeaux noirs. Sa robe de mousseline claire et son nez droit. Son menton c'est une des vertus du réalisme subjectif que de procéder à une mise en perspective du spectacle : le héros se déplace et passe devant l'héroïne, la regarde de côté, fait plusieurs tours à sa droite et à sa gauche, se plante enfin tout près d'elle. [...]
[...] Malgré tous ses efforts, Frédéric n'a pas accès au vécu de Madame Arnoux, et elle ne lui accorde que quelques paroles de politesse Je vous remercie, monsieur et un regard bien neutre, qui souligne la cruelle disproportion de sentiments entre les deux protagonistes. Les positions sont asymétriques : en face d'un point de vue interne et envahissant, celui de Frédéric, éclate l'extériorité de la femme contemplée. Rien n'est dit de ce qu'elle pense ou éprouve, hors les quelques mots qu'elle adresse, dans son rôle de mère, non pas au jeune homme, mais à la fillette. Maintenue à distance, admirée de loin, l'inconnue est déjà dans la situation qui restera la sienne au long du roman : idole inaccessible. [...]
[...] Le geste de Frédéric qui bondit et le rattrape est un geste important pour deux raisons. D'abord, il supprime la distance jusqu'alors quasi infranchissable entre les deux personnages. Un instant le héros abolit artificiellement cette distance. À la lumière de la psychanalyse, peut-être faut-il comprendre le bond de Frédéric comme un désir de rapt, de possession du seul objet de l'idole, qu'il puisse toucher ou saisir. Ensuite, il déclenche les seuls propos qu'elle lui adresse : Je vous remercie, monsieur. »Mais ce n'est qu'une réponse conventionnelle à une démarche bien différente. [...]
[...] Cet objet cristallise le désir du jeune homme et suscite l'excitation érotique. Tout se passe, comme si, ne pouvant désirer la totalité d'une femme à cause de l'inaction, de la passivité et des rêveries qui le caractérisent, Frédéric concentre son désir sur une partie de la personne, sur un vêtement qui lui appartient. À sa vue, il se laisse aller à des fantasmes érotiques, et semble se projeter dans ce châle qui est tout le temps au contact de la peau de l'héroïne. Il aimerait presque être ce châle. [...]
[...] On songe à la première rencontre de Rousseau et de Madame de Warens, dans Les Rêveries du promeneur solitaire quand l'auteur dit en substance que ce premier moment décida de toute sa vie, et la transforma en destin. Nous pouvons d'abord remarquer, après l'ouverture abrupte Ce fut comme une apparition et l'éblouissement ressenti par le héros, que tout est suspendu à ce il la regarda Flaubert choisit alors de nous faire assister à toute la scène à travers le regard de Frédéric, adoptant ainsi la focalisation interne ou point de vue avec. Et cette vision interne du héros qui se déplace justifie le portrait de l'héroïne, portrait partiel et en désordre. [...]
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