La maladie a emporté Chloé, et Colin, ruiné, n'a pu lui offrir qu'un « enterrement pour pauvres », d'une violence terrible et dégradante. Seul après la mort de Chick et d'Alise, dans l'incompréhension de la cruauté de son destin, il passe ses journées à attendre le nénuphar qu'il a aperçu lors de l'enterrement de Chloé pour le tuer, sur la planche menant au cimetière au-dessus de l'eau. La souris, qui est parvenue à quitter l'appartement avant que le plafond ne rejoigne le plancher, incapable de supporter la déchéance de Colin, demande à un chat de la tuer. En quoi le roman se clôt-il sur un appel à la participation et à l'interprétation du lecteur face à son issue tragique ?
Le texte est particulièrement sombre, traitant de la mort et du suicide. Ainsi, la souris évoque l'attitude dépressive de Colin, marquée par la répétition quotidienne des mêmes actions, et sa mort prochaine (« un de ces jours, il va faire un faux pas en allant sur cette planche ») que désire anticiper la souris. Le choix de mort de la souris et le triste sort de Colin accordent à ce passage une certaine tonalité pathétique. Cependant, le texte n'est pas uniquement pathétique, et présente un humour qui contraste avec la souffrance qui parcourt le passage
[...] Leur attitude est très humaine, comme l'indique la susceptibilité du chat face à l'offense de la souris retirant sa tête de sa gueule : il paraissait fâché. ne te vexe pas, dit la souris Dans le monde de l'Ecume des jours, les animaux sont des êtres raisonnables et jugent le comportement des hommes : C'est idiot, dit le chat ; ça ne présente aucun intérêt Ils présentent des raisonnements très subtils, comme la souris faisant la distinction entre le fait d'être malheureux et la peine Il est intéressant de relever qu'il s'agit d'un monde renversé, où c'est la souris qui demande au chat de la manger, et se heurte paradoxalement aux fortes réticences de celui-ci, exprimées dès l'entame du chapitre : Vraiment, dit le chat, ça ne m'intéresse pas énormément La formulation indique l'insistance de la souris, et marque sa détermination à obtenir la faveur du chat. [...]
[...] L'Ecume des jours, Chapitre LXVIII, Boris Vian La maladie a emporté Chloé, et Colin, ruiné, n'a pu lui offrir qu'un enterrement pour pauvres d'une violence terrible et dégradante. Seul après la mort de Chick et d'Alise, dans l'incompréhension de la cruauté de son destin, il passe ses journées à attendre le nénuphar qu'il a aperçu lors de l'enterrement de Chloé pour le tuer, sur la planche menant au cimetière au-dessus de l'eau. La souris, qui est parvenue à quitter l'appartement avant que le plafond ne rejoigne le plancher, incapable de supporter la déchéance de Colin, demande à un chat de la tuer. [...]
[...] Et je n'ai pas du tout envie de me suicider, alors tu vois pourquoi je trouve ça anormal L'anormalité du comportement de Colin et de la souris est ainsi immédiatement soulignée par le chat, qui demeurera dans un avis très tranché face à la situation c'est idiot, dit le chat, ça ne présente aucun intérêt ou dans l'incompréhension la plus totale je ne sais pas pourquoi je dis c'est comme parce que je ne comprends pas du tout Le lecteur est ainsi écartelé entre l'excès de l'indifférence et des certitudes du chat et les motivations obscures de la souris ; on remarque que celle-ci ne répond pas au jugement du chat sur le désir de vengeance de Colin : oui, dit la souris, il attend qu'il remonte pour le tuer Le lecteur est forcé de se positionner seul face aux événements présentés et aux choix des personnages. La vengeance de Colin t-elle un sens ? Les onze petites filles aveugles de l'orphelinat de Saint Julien l'Apostolique sont-elles la représentation d'un destin ou d'un Dieu lui-même aveugle, implacable, insensible à la tragédie qui se déroule ? L'image de l'innocence ? [...]
[...] Mais c'est un acte, le seul qui soit à la portée de Colin, et dans lequel il recherche aussi la mort. Le destin apparaît ainsi comme implacable, signe du malheur de la condition humaine. C'est lui qui semble être invité à intervenir à la fin du chapitre, pour guider les pas des jeunes filles aveugles afin de précipiter la mort de la souris. C. La nécessité d'une interprétation personnelle Ainsi la complexité de ce passage réside aussi dans l'impératif pour le lecteur de s'investir dans la recherche du sens, dans la mise en lumière de la leçon du texte. [...]
[...] Colin est un homme résigné, vaincu par un destin acharné et destructeur contre lequel ses efforts sont demeurés vains. La vacuité de son existence depuis la mort de Chloé, exposée dans le texte, l'indique clairement : il se laisse mourir. L'acharnement de l'ennemi, du mal, représenté par le nénuphar, a eu raison de lui, et l'a submergé dans la souffrance : la distinction entre le malheur, événement douloureux accepté, réalité hostile, et la peine, cette affliction morale qui déprime et qu'il est difficile de consoler. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture