Duras, "Un barrage contre le pacifique", "La mort des enfants"
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Commentaire composé semi-rédigé de l'extrait "La mort des enfants" tiré de l'oeuvre de Marguerite Duras Un barrage contre le Pacifique.
Sommaire
I) Une évocation réaliste
A. Une masse indifférenciée B. Les stigmates de la misère C. La faim D. L'animalisation
II) Une vision à la fois pathétique et tragique
A. La tonalité du texte B. La composition du texte C. L'insensibilité D. La nature l'emporte sur l'homme E. La résignation devant l'inévitable
Conclusion
Passage analysé
Jusqu'à un an environ, les enfants vivaient accrochés à leur mère, dans un sac de coton ceint au ventre et aux épaules. On leur rasait la tête jusqu'à l'âge de douze ans, jusqu'à ce qu'ils soient assez grands pour s'épouiller tout seuls et ils étaient nus à peu près jusqu'à cet âge aussi. Ensuite ils se couvraient d'un pagne de cotonnade. A un an, la mère les lâchait loin d'elle et les confiait à des enfants plus grands, ne les reprenant que pour les nourrir, leur donner, de bouche à bouche, le riz préalablement mâché par elle. Lorsqu'elle le faisait par hasard devant un Blanc, le Blanc détournait la tête de dégoût. Les mères en riaient. Qu'est-ce que ces dégoûts-là pouvaient bien représenter dans la plaine ? Il y avait mille ans que c'était comme ça qu'on faisait pour nourrir les enfants. Pour essayer plutôt d'en sauver quelque uns de la mort. Car il en mourrait tellement que la boue de la plaine contenait bien plus d'enfants morts qu'il n'y en avait qui avaient eu le temps de chanter sur les buffles. Il en mourait tellement qu'on ne les pleurait plus et que depuis longtemps déjà on ne leur faisait pas de sépulture. Simplement, en rentrant du travail, le père creusait un petit trou devant la case et il y couchait son enfant mort. Les enfants retournaient simplement à la terre comme les mangues, sauvages des hauteurs, comme les petits singes de l'embouchure du rac. Ils mouraient surtout du choléra que donne la mangue verte, mais personne dans la plaine ne semblait le savoir. Chaque année, à la saison des mangues, on en voyait, perchés sur les branches, ou sous l'arbre, qui attendaient, affamés, et les jours qui suivaient, il en mourait en plus grand nombre. Et d'autres, l'année d'après, prenaient la place de ceux-ci, sur ces mêmes manguiers, et ils mouraient à leur tour car l'impatience des enfants affamés devant les mangues vertes est éternelle. D'autres se noyaient dans le rac. D'autres encore mouraient d'insolation ou devenaient aveugles. D'autres s'emplissaient des mêmes vers que les chiens errants et mouraient étouffés.
Marguerite Duras, Un Barrage contre le Pacifique (1950)
I) Une évocation réaliste
A. Une masse indifférenciée B. Les stigmates de la misère C. La faim D. L'animalisation
II) Une vision à la fois pathétique et tragique
A. La tonalité du texte B. La composition du texte C. L'insensibilité D. La nature l'emporte sur l'homme E. La résignation devant l'inévitable
Conclusion
Passage analysé
Jusqu'à un an environ, les enfants vivaient accrochés à leur mère, dans un sac de coton ceint au ventre et aux épaules. On leur rasait la tête jusqu'à l'âge de douze ans, jusqu'à ce qu'ils soient assez grands pour s'épouiller tout seuls et ils étaient nus à peu près jusqu'à cet âge aussi. Ensuite ils se couvraient d'un pagne de cotonnade. A un an, la mère les lâchait loin d'elle et les confiait à des enfants plus grands, ne les reprenant que pour les nourrir, leur donner, de bouche à bouche, le riz préalablement mâché par elle. Lorsqu'elle le faisait par hasard devant un Blanc, le Blanc détournait la tête de dégoût. Les mères en riaient. Qu'est-ce que ces dégoûts-là pouvaient bien représenter dans la plaine ? Il y avait mille ans que c'était comme ça qu'on faisait pour nourrir les enfants. Pour essayer plutôt d'en sauver quelque uns de la mort. Car il en mourrait tellement que la boue de la plaine contenait bien plus d'enfants morts qu'il n'y en avait qui avaient eu le temps de chanter sur les buffles. Il en mourait tellement qu'on ne les pleurait plus et que depuis longtemps déjà on ne leur faisait pas de sépulture. Simplement, en rentrant du travail, le père creusait un petit trou devant la case et il y couchait son enfant mort. Les enfants retournaient simplement à la terre comme les mangues, sauvages des hauteurs, comme les petits singes de l'embouchure du rac. Ils mouraient surtout du choléra que donne la mangue verte, mais personne dans la plaine ne semblait le savoir. Chaque année, à la saison des mangues, on en voyait, perchés sur les branches, ou sous l'arbre, qui attendaient, affamés, et les jours qui suivaient, il en mourait en plus grand nombre. Et d'autres, l'année d'après, prenaient la place de ceux-ci, sur ces mêmes manguiers, et ils mouraient à leur tour car l'impatience des enfants affamés devant les mangues vertes est éternelle. D'autres se noyaient dans le rac. D'autres encore mouraient d'insolation ou devenaient aveugles. D'autres s'emplissaient des mêmes vers que les chiens errants et mouraient étouffés.
Marguerite Duras, Un Barrage contre le Pacifique (1950)
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Extraits
[...] L'animalisation Aussi le lecteur éprouve-t-il de la peine à se départir du sentiment que ces petits hommes sont traités comme les petits des animaux. Sans doute l'image perchés dans les arbres évoque-t-elle simplement l'un des jeux favoris des enfants. Mais des mots comme accrochés ou lâchait loin de suggérer la sollicitude d'une mère, assimilent l'enfant à un fardeau. L'expression bouche-à-bouche volontairement détournée de son sens technique et médical, peut rappeler la manière dont un animal comme le pélican nourrit ses petits : il régurgite les poissons qu'il avait conservés dans son goitre. [...]
[...] L'insistance avec laquelle M. Duras décrit les ravages causés par l'absorption des mangues vertes ne laisse pas de troubler le lecteur, qui n'a pas eu le temps d'oublier la phrase sur la volonté de soustraire les enfants à la mort : les parents ignorent-ils à quoi s'exposent des enfants qui mangent des fruits verts ou bien n'ont-ils ni la force ni le courage de les en empêcher ? N'ont-ils pas même ces connaissances empiriques que les hommes les plus frustes se transmettent de génération en génération, une fois instruits par l'expérience ? [...]
[...] les mères jugent ridicule la réaction de dégoût des Blancs. La réponse est également formulée par elles, comme l'indiquent la platitude de l'expression et le recours à la langue parlée : c'était comme ça qu'on faisait pour . Elle oppose à la réaction épidermique des nouveaux venus, les colonisateurs blancs, la tradition séculaire des indigènes et, en détachant la subordonnée de but pour l'isoler entre deux points, l'auteur souligne les efforts des parents pour lutter contre la fatalité : ces moyens dérisoires et ces faibles résultats en sauver quelques-uns leur permettent du moins de recouvrer leur dignité d'hommes. [...]
[...] C'est ainsi que Marguerite Duras a donné pour cadre à l'un de des premiers romans, Un Barrage contre le Pacifique, l'Indochine française, où elle vécut jusqu'à l'âge de dix-sept ans. L'action du roman, le combat d'une femme pour conquérir des terres sur l'Océan qui les submerge périodiquement, est une transposition du combat que mena sa propre mère. Comme dans d'autres colonies, les paysans formaient la majorité de la population indochinoise, Marguerite Duras s'attache ici à peindre les enfants dans une évocation réaliste qui s'élargit en une vision poétique, où la mort se confond avec un fléau naturel. [...]
[...] La première impression qui se dégage du texte est celle d'une masse grouillante d'enfants. De la première à la dernière phrase l'auteur emploie constamment le pluriel : les enfants ils d'autres A aucun moment l'un d'entre eux ne se détache du groupe, en étant, par exemple, désigné par son prénom. Tous les individus sont noyés dans une masse indifférenciée. De même, pour leurs parents, Marguerite Duras utilise tantôt le pluriel les mères tantôt le singulier collectif et l'article défini le père creusait pour décrire une catégorie d'êtres et un destin collectif. [...]