Dona Bruder chapitre 6, Patrick Modiano, 1997, ekphrasis, achromatopsie, Seconde Guerre mondiale, conception barthésienne de la photographie, Albert Memmi, mémoire, portrait de famille
"Dora Bruder", seizième récit de Patrick Modiano est publié le 2 avril 1997 aux éditions Gallimard. Ce roman est instauré sur l'esprit de l'enquête qui s'appuie essentiellement sur des documents, des adresses, des numéros, mais encore sur la photo. Cette dernière, comme dans presque toutes ses œuvres, est enrôlée pour sauver des personnages de l'ombre et colmater les brèches de la mémoire. Elle constitue de facto un acte de résistance et un gardien contre l'oubli. Nous nous proposons d'étudier le sixième chapitre du roman qui se prolonge de la page 31 à la page 33. Mais tout d'abord, une situation de ce passage s'impose.
Dans le chapitre précédent, le narrateur découvre la date de naissance de Dora, ainsi que l'acte de mariage des parents de cette dernière. Il est question dès lors de recueillir quelques bribes des années d'enfance de Dora. Mais ne réussissant malheureusement ni à identifier l'école primaire qui fut la sienne, ni la profession d'Ernest et de Cecile Bruder (les parents de Dora), il finira par avouer son ignorance. Je cite : "Je ne sais rien d'eux, au cours de ces années" (Dora Bruder, p.31). Il ne lui restera plus qu'à formuler des hypothèses sous forme de questions. C'est alors que survient la description des huit photos d'avant-guerre qui viennent donc en quelque sorte se substituer à des données concrétées absentes.
[...] Elles semblent dés lors irrémédiablement liées. L'image photographique ne remémore pas seulement le passé, elle est également une métaphore du temps et de la mémoire dans leur mécanisme même. La rencontre du regard et de l'œuvre rejoue la question fondamentale du sujet et de ses origines dont il est définitivement séparé. L'image photographique est le signe et la référence à un passé devenu inaccessible Devant les clichés, le narrateur ne regarde pas seulement une succesion de photos mais il se regarde aussi lui-même. [...]
[...] Pour ce faire l'auteur procédé bien évidemment à la collecte minutieuse de clichés mais encore de documents administratifs , de lettres , d'archives, de tout ce qui témoignent du passage ou de la trace d'une famille, et ce pour lutter contre l'oubli un oubli causé par le temps, certes, mais aussi par la volonté de ceux qui, peu avant la fin de la Seconde Guerre mondiale, ont détruit les documents incriminants de la Police des questions juives et par la volonté de ceux qui, dans l'après-guerre, ont cherché à imposer une couche épaisse d'amnésie sur les heures sombres de l'Occupation ses et dont l'action a eu pour effet de généraliser l'effacement des traces de Dora et des siens. Modiano a sans aucun doute tiré de couleur cette l'amnésie et a remis en lumière des milliers d'autres vies. Des hommes et des femmes inconnus, réduit à l'ombre d'une ombre, une étoile jaune, un matricule, à l'expiration d'un effroyable silence. COMPARAISON Patrick Modiano se livre donc à un travail et de biographe et d'autobiographe. [...]
[...] Certes l'objectif d'Albert Memmi est semblable à celui de Patrick Modiano : deux écrivains qui s'engagent non seulement contre l'Occupation mais surtout contre l'oubli mais tous deux présentent deux conceptions différentes du temps, face aux matins d'Albert Memmi, Modiano parle de jour d'été L'un parle de saisons qui se suivent, chaque saison avec ses propres caractéristiques, l'autre parle de journées qui se succèdent, créant une sorte de répétition, semblable à celle d'un rituel. L'auteur de Dora Bruder insert dans un récit biographique ses propres souvenir alors que l'auteur de la statue de sel part de son propre passé en tant qu'individu pour ensuite élargir ses perspectives, en parlant d'un certain Alexandre Modérai Benillouche. [...]
[...] Ces photographies permettent au narrateur de donner à l'Histoire le visage d'une famille, d'une souffrance individuelle, d'un désarroi humain celui de l'existence de la famille Bruder dans lequel on entre en s'identifiant à ces personnes comme à des personnages de fiction. Mais c'est aussi l'existence de tous les juifs sous l'Occupation. Car la photographie chez Modiano traduit les stéréotypes sociaux, précédemment mentionnés, de cette période De ce fait les manifestations de la photographie qui mettent en scène Dora et sa famille prépare des cris tonitruants contre la période de l'Occupation. [...]
[...] La photographie semble alors parler notre langue intérieure et va chercher ce qui depuis longtemps a été enfoui Ces photos semblent être à l'orée du présent et du passé, indéterminés , témoignagne ultime in illo tempore. Elles sont également à l'orée de la lumière et de l'obscurité , fortement contrastées , le jeu du clair-obscure prédomine dans l'extrait. II - Un portrait collectif Il est utile de rappeler que l'apparition des photographies en couleurs date de cest-à-dire avant meme la premiere guerre mondiale. Or dans cet extrait les clichés décrit semblent surgir d'une époque frappée par une achromatopsie ( pathologie du systeme visuel qui se manifeste par une absence totale de couleurs). [...]
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