"Le contraste n'est pas un noir et un blanc, un contraire, une dissemblance. Le contraste est une ressemblance." Blaise Cendrars (1887-1961), poète français, offre ici une nouvelle définition au titre du troisième poème de son recueil "Dix-neuf poèmes élastiques". Rédigé en majeure partie de 1912 à 1914, ce recueil s'inscrit dans un climat d'avant-guerre.
Cendrars est un poète aux antipodes de la convention littéraire, poétique. Il fait de la poésie une manière de vivre. Le monde est un tout. Au début du XXe siècle, les arts se mêlent. Ainsi son écriture est-elle intimement liée avec la peinture. Le bouleversement fulgurant des arts et notamment de la poésie accompagne celui de la société française.
Comment Cendrars définit-il sa poésie dans "Contrastes"? Et en quoi est-elle, selon la description de Léger (peintre français du début du XXe siècle) d'une oeuvre d'art, "significative de son époque"?
[...] Cette thématique s'exprime premièrement au travers des réformes temporelles que sont soir horloges (v.10), maintenant (v.10 et 24 heures (v.10), aprés (v.10), retardées (v.10), 10 minutes (v.10), temps (v.11), tous les samedis (v.17), de temps en temps (v.20), aujourd'hui (v.23), jamais (v.28), et quand (v.39). L'être humain se positionne en victime. Aucune issue n'est possible sinon celle de la fatalité. La dimension de l'éphémère surgit grâce à aujourd'hui (v.23), changement (v.24), et surtout à l'évocation du coquelicot (v.27) qui reflète la rapidité de la mort. La fleur rouge se fâne sitôt arrachée de la terre. Seul l'état naturel, sauvage la préserve. [...]
[...] La dimension populaire est agrémentée d'un univers prolétaire puisque les clients sont des ouvriers (v.16), en tenue de travail. La précision de leur vêtement apporte une théâtralité au poème. La scène a pour décors le bistro (v.15), pour comédiens les ouvriers (v.16) portant un costume analogue, une blouse bleue (v.16). C'est au plus profond du commun des mortels que se situe l'attraction. Le poète va s'inspirer sur le boulevard empli de vie, de passage, comme le montre le mouvement, au premier vers, des fenêtres vers les boulevards Un travail d'observation s'effectue. [...]
[...] À la manière de Walt Whitman, poète américain du XXème siècle qui inspire le vers libre français, Cendrars se passe des héritages métriques. Le poème apparaît scientifique dans le sens où il s'apparente à une expérience. Un jeu est opéré avec les vers. Comme pour se moquer des conventions, les vers et 21 titillent l'alexandrin. Le premier vers du poème comporte vingt-quatre syllables, soit deux alexandrins dont la césure est indiquée visuellement par une apostrophe grand'ouvertes Dans le même esprit, toutes les longueurs sont explorées: les vers oscillent entre une et vingt- sept syllables. [...]
[...] S'insurgeant contre la métrique classique, Cendrars prouve que l'art poètique réside dans la vie du quotidien. Les conventions stylistiques obstruent le réalisme et la poèsie s'éssoufle. Cendrars apparente son poème à un tableau. Dans sa volonté d'innovation, il propose une esthétique nouvelle à savoir la vision kaléidoscopique. Des échos ondoyent. La rue de Buci (v.37) accueille le café Aux cinq coins, dont le nom est repris comme titre du treizième poème du recueil Dix neuf poèmes élastiques. Egalement, Contrastes récupère du deuxième poème, l'image de la tour et plus précisément de la Tour Eiffel au vers 22. [...]
[...] Enfin, l'oxymore l'incendie du soir (v.7) illustre la vive confrontation de couleurs. L'intérêt n'est plus exclusivement sur le charme, mais sur la force, pour reprendre la pensée de Léger selon laquelle: ça a moins de charme, mais c'est incomparablement plus fort Seul compte désormais l'impact maximum En ce sens, Cendrars opère ici une synesthésie des sens. La vue, tout d'abord, est représentée par: fenêtres brillent lumière couleur et je lis (v.26). Ensuite, l'ouïe est exprimée au moyen de : écoute j'entends (v.30), sonnettes (v.31) et on crie (v.36). [...]
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