Médecin de marine, Victor Segalen [1878-1919] trouve à Tahiti une île où la nature est intacte, quoique la civilisation occidentale ait commencé à pervertir les Maoris. Suivant le modèle de Gauguin, il décide de peindre le monde qu'il découvre, non en recourant à l'exotisme, mais en adhérant à la personnalité profonde des êtres. Attiré par l'Asie, il s'installe à Pékin en 1910 et prépare des missions archéologiques qui aboutissent à la découverte de vestiges de la dynastie des Han. De ce séjour datent les Stèles, poèmes écrits sous la forme de ces pierres commémoratives qui bordent les routes chinoises (...)
[...] De ce séjour datent les Stèles, poèmes écrits sous la forme de ces pierres commémoratives qui bordent les routes chinoises. I. UN POEME EN PROSE EN FORME DE STELE POUR CONSEILLER LES CHINOIS DANS LEURS CHOIX ARCHITECTURAUX FACE AUX RAVAGES DU TEMPS A. Un poème en prose en forme de stèle adressée à des Chinois Une stèle : titre, une épigraphe, trous de la pierre, alinéa inversé (par opposition aux pratiques occidentales), des expressions typiques de l'orient, des références aux réalités chinoises Des destinataires chinois en apparence : Vous ! [...]
[...] Un constat tragique sur le temps, présenté comme un monstre inévitable L'allégorie du temps en monstre Le tragique de ce constat Négations de la durée C. Le conseil architectural qui résulte de ce constat Mouvement du texte : du constat au conseil (impératifs) Cf. stèle Conseils au bon voyageur Un compromis : bâtir éphémère ou au plus proche de l'éphémère Un culte au temps : un monstre à nourrir Transition : ce poème adopte donc le point de vue chinois ; du coup, ce sont les Occidentaux qui sont présentés comme des étrangers et l'auteur jette sur leurs conceptions un regard distancié. [...]
[...] Une stèle de papier qui réalise le programme qu'elle fixe Une stèle non en pierre mais en papier : la mise en œuvre de l'art poétique inscrit dans le texte Pour la conclusion : Ce texte passe du sarcasme initial contre la conception du temps des Occidentaux à l'enthousiasme final pour la conception orientale. Segalen se fait poète en traduisant concrètement, en l'occurrence de manière architecturale, une conception philosophique qui aurait pu rester abstraite et obscure. Cette stèle de papier contrecarre les solides préjugés occidentaux en épousant un style oriental. Cf. Lettres persanes de Montesquieu : Segalen va plus loin. Il va ici en effet jusqu'à inviter le lecteur à être oriental : Segalen rend cette pensée séduisante. [...]
[...] Ils vantent que leur ciment durcit avec les soleils ; les lunes meurent en polissant leurs dalles ; rien ne disjoint la durée dont ils s'affublent ces ignorants, ces barbares ! o 10 Vous ! fils de Han2, dont la sagesse atteint dix mille années et dix mille dix milliers d'années, gardez-vous de cette méprise Rien d'immobile n'échappe aux dents affamées des âges. La durée n'est point le sort du solide. L'immuable n'habite pas vos murs, mais en vous, hommes lents, hommes continuels. Si le temps ne s'attaque à l'oeuvre, c'est l'ouvrier qu'il mord. [...]
[...] Montez les bois pour le sacrifice : bientôt le sable cédera, l'argile gonflera, le double toit criblera le sol de ses écailles : Toute l'offrande est agréée ! 25 o Or, si vous devez subir la pierre insolente et le bronze orgueilleux, que la pierre et que le bronze subissent les contours du bois périssable et simulent son effort caduc : Point de révolte : honorons les âges dans leurs chutes successives et le temps dans sa voracité L'épigraphe signifie : Dix mille ans ! Dix mille dix milliers d'années ! (exclamation rituelle). dynasties chinoises. [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture