Francis Ponge et Alain Robbe-Grillet cherchent à briser les conventions, qui du langage, qui des formes narratives romanesques, avec des ambitions et des intentions parfois divergeantes ; mais leur conception du texte comme objet les emmène tous deux vers une esthétique de la répétition sur le modèle musical.
Le texte est un objet travaillé (comme en témoigne la mise en abyme des manoeuvres qui réparent le pont dans La Jalousie) ? et presque scientifiquement en ce qui concerne Robbe-Grillet ; c'est le fruit d'une évolution artistique. Le livre est un matériau, une pierre qui participe de l'édification d'une nouvelle littérature, et le romancier n'est plus le représentant d'une époque, il n'est plus au service d'une politique (dans toute l'acception du terme ? c'est-à-dire que sa vocation n'est pas de moraliser ou d'éduquer la cité, ni selon des principes personnels, ni selon ceux d'un pouvoir étatique). Certes, l'oeuvre doit avoir ? et a ? un sens, elle atteint un certain aspect de la sensibilité, mais il s'agit là d'un nouveau pacte de lecture, qui affirme, sans ambiguïté aucune, l'autonomie du texte. Il est semé d'embûches, et ne transigera pas, ne fera aucune concession ; c'est maintenant au lecteur de faire la ? plus importante ? partie du chemin. (...)
[...] Comment une figue de paroles et pourquoi est une consolation matérialiste, qui doit le détacher des sentiments, du lyrisme (“poitrinaire” ) ; sa figue, comme l'annonce l'évocation de Symmaque et de Boèce, doit le ramener aux véritables valeurs, à la terre au lieu de le laisser songer à un ailleurs, des divinités, improbables ; le texte brouille les faits préétablis, pour mieux reconstruire. La démarche de Francis Ponge, très conceptuelle et novatrice, se rapproche de celle de Renzo Piano et Richard Rogers, les auteurs du projet architectural du centre Georges-Pompidou, qui laissèrent apparents la ferraille et les tuyaux du monument. Pour Ponge, il s'agit de démythifier le travail d'écrivain, d'en montrer les arcanes, le fonctionnement c'est- à-dire l'évolution. [...]
[...] En étais-je le maître ? Je l'ignore ; mais, tant qu'elle est là, elle cherchera sa route avec ou sans le consentement de cette force qui est en moi, et qui dit Si les démarches de Francis Ponge et d'Alain Robbe-Grillet différent dans la mesure où leurs textes ont une portée soit personnelle (un manifeste poétique de la figue), soit un peu plus “ouverte” (un roman pour le Nouveau Roman), elles se rejoignent cependant dans leur esthétique de la répétition sur le modèle musical, qui vise à mettre en lumière le mécanisme de l'écriture. [...]
[...] Il est semé d'embûches, et ne transigera pas, ne fera aucune concession ; c'est maintenant au lecteur de faire la plus importante partie du chemin. La passivité, l'indolence, qui était tolérée pour la littérature classique, n'est désormais plus de mise, car elle mènerait tout droit à l'incompréhension ce qui n'est absolument pas le but recherché par ces auteurs qui, certes, gardent un caractère entier et absolu, et préservent leur texte de toute gratuité, mais tentent malgré tout d'établir ce lien nouveau nécessaire, cette complicité avec un lecteur nouveau qu'il ne faut surtout pas négliger ou mésestimer, car si la philosophie et la littérature de la deuxième moitié du siècle ont fait un pas immense vers plus de libertés, et moins d'artifice, le lectorat, qui a vu des révolutions sociales, psychologiques, extraordinaires, a lui aussi évolué. [...]
[...] Licence de Lettres Modernes Esthétique de l'objet au XXème siècle Sujet I : Francis Ponge s'adressant à ses lecteur dans l'avant-propos du Savon, tient à les prévenir : “Vous serez étonnés peut-être [ . ] des fréquentes, des fastidieuses répétitions que comporte le présent texte [ . ] eh bien, dois-je m'en excuser ? Non. [...]
[...] L'excipit du roman, très symptomatique d'une fin de symphonie, reprend ces thèmes, de manière atténuée, apaisée (et nous amène “loin du point de départ”, malgré tout). Robbe-Grillet s'inscrit plus précisément dans un courant de remise en cause du narrateur, dont font partie à divers degrés, et non seulement Vladimir Nabokov (Feu Pâle, La Méprise), André Gide (Les faux-monnayeurs) Diderot est certes un illustre précurseur ; mais leur approche semble plus subtile. Ces auteurs tentent de montrer le caractère artificiel et arbitraire de cette voix omnisciente et omnipotente, qu'il faut désormais considérer d'un œil plus critique, plus distancié le piège de l'identification doit être absolument évité, d'où, dans La Jalousie, la constante ironie qui entoure le narrateur. [...]
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