En écrivant à dix-huit ans le <em>Discours de la servitude volontaire</em> (1548), La Boétie témoigne de sa précocité et de grandes qualités intellectuelles, que Montaigne reconnaîtra dès la naissance de leur amitié, autour de 1556-57, dans le cadre du Parlement de Bordeaux. La nouveauté de cet essai sur la tyrannie, thème traditionnel à l'époque, est de s'attacher surtout à analyser les conditions de la soumission du peuple. Après avoir posé la liberté comme naturelle à l'homme, La Boétie explique par un accident historique, le Malencontre, la chute dans la servitude et le début de la dénaturation ; ensuite, c'est la coutume qui maintient l'homme dans la servitude. Comment montrer l'importance de la coutume, c'est-à-dire la force de l'habitude, et qu'elle nous éloigne de notre état naturel ? Nous verrons d'abord que La Boétie définit avec soin cette notion de coutume, plus forte que celle de nature, et nous montrerons ensuite qu'il le fait avec un grand souci pédagogique, qui sert aussi son argumentation sur un modèle de société. En effet, son objectif ici est bien celui de la pensée humaniste au service de l'homme, ce que nous analyserons dans un dernier temps.
I. La définition de la notion de coutume par rapport à celle de nature
1) Un texte d'analyse
- Objectivité et généralisation du registre didactique : le pronom personnel indéfini « on » est employé (l.1, 16, etc.), « Les hommes » (l.2), « nous » (l.8, 13, etc.) ; présent de l'indicatif quasi systématique dans toute la 1ère moitié du texte, qui dit une vérité générale. Les adverbes « toujours » (l.12) et « souvent » (l.19) montrent aussi l'effort de généralisation. L'unique occurrence du « je », l.23, n'a pas d'autre fonction que la reprise dans une incise : « dis-je ».
- Le plan du texte : un 1er paragraphe très général voire abstrait qui s'achève sur l'idée « ils prennent pour leur naturel l'état de leur naissance » (l.4-5), suivi de plusieurs illustrations de ce propos : l'auteur cherche à faire comprendre par l'analogie : outils comparatifs « comme » (l.9), « tels » (l.15), images de l' « héritier » et des « semences de bien » (l.6 et 13), anecdote de Lycurgue dans le dernier paragraphe.
- Le texte emploie à nombreuses reprises les termes à définir, en recourant aussi aux synonymes. Le point de départ est la confusion entre « naturel » et « état de leur naissance ». La « coutume » apparaît à la ligne 8, puis 12 et dans le participe « accoutumé », l.29 ; l'habitude et la nourriture (au sens d'éducation) reviennent très souvent, pour préciser l'idée de coutume : l.3, 9, 12, 14, 21-22, 28, 30, 32. Ainsi se constitue un champ lexical au fil du texte qui s'oppose à celui de nature / naturel : l.5, 11-13, 17, 26. Le but est bien d'opérer une distinction entre nature et coutume, que Montaigne reprendra dans ses <em>Essais</em>. Extrêmement nombreux, les rythmes binaires soulignent du début à la fin cette dualité. (...)
[...] Dans le cadre du Discours et de sa démonstration, le culturel joue un rôle prépondérant dans la servitude ; mais la servitude volontaire s'en trouve nuancée, les hommes n'étant pas conscients qu'ils sont sous l'emprise de cette force. C'est donc le type d'apprentissage, le type de nourriture qui importe, pouvant mener l'homme à la défense de la liberté (l.22 : entretenir pour le mieux leur liberté ou au sacrifice dans l'intérêt du tyran (l.25 : qui abandonnent leur propre vie pour maintenir sa puissance La récurrence des subordonnées consécutives souligne l'importance de l'objectif fixé à l'apprentissage. [...]
[...] L'influence de La Boétie y est évidente. Usus efficacissimus rerum omnium magister. J'en croy l'antre de Platon en sa Republique, et croy les medecins, qui quitent si souvent à son authorité les raisons de leur art ; et ce Roy qui, par son moyen, rengea son estomac à se nourrir de poison ; et la fille qu'Albert recite s'estre accoustumée à vivre d'araignées. Et en ce monde des Indes nouvelles on trouva des grands peuples et en fort divers climats, qui en vivoient, en faisoient provision, et les apastoient, comme aussi des sauterelles, formiz, laizards, chauvessouriz, et fut un crapault vendu six escus en une necessité de vivres ; ils les cuisent et apprestent à diverses sauces. [...]
[...] Les deux derniers reviennent aussi directement au 1er, qui résumait la situation de la tyrannie sous le joug dans la servitude et double négation d'autres biens ni d'autres droits l.3-4), et c'est ensuite l'allusion à Mithridate qui permet de renvoyer à une société orientale où les rivalités de pouvoir sont si fortes qu'il faut s'immuniser contre le poison. - Le repoussoir : le sultanat est évoqué avec la même brièveté que les deux lignes consacrées à la tyrannie dans le 1er La périphrase désignant le sultan est péjorative, et met en avant la mégalomanie du Prince, avec les deux majuscules de Grand Seigneur : le peuple y est présentée dans la réduction qui caractérise son existence : une restriction ne sont nés que pour l.25, suivie du verbe abandonnent ; l'antithèse entre abandonner et maintenir renvoie à toutes les autres du Discours, qui signalent à chaque fois l'injustice criante d'un tel régime. [...]
[...] d'où le recours à l'anecdote finale, apologue par essence pédagogique. Mais ce paragraphe montre aussi qu'il y a une nourriture à tirer du passé : la figure de Lycurgue, valorisée traditionnellement et dans le texte forma si bien l.32-33), permet à l'auteur de faire entendre à travers sa bouche sa propre conception avec plus de crédit : voulant montrer aux Lacédémoniens que les hommes sont tels que la nourriture les fait (l.30). L'Antiquité est une source de bienfaits pour l'humaniste La Boétie, comme elle le sera pour les poètes de la Pléiade et Montaigne. [...]
[...] Cor de chasse. Variante : le roi et la raison. [...]
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