« On sait à peu près pourquoi une œuvre est mauvaise mais bien moins pourquoi elle est bonne » déclare Pierre Reverdy. La Fontaine quant à lui propose un élément de réponse, dans un discours adressé à La Rochefoucauld dans les Fables : « Mais les ouvrages les plus courts / sont toujours les meilleurs ». Ce propos est avant tout un hommage rendu à La Rochefoucauld », passé maître dans l'art de la maxime, et sa vérité est sans doute contestable, mais son caractère péremptoire suscite néanmoins l'étonnement.
Que penser d'un tel jugement ? Comment le critère quantitatif peut-il être à l'origine d'un jugement qualitatif ? Le critère de la longueur ou de la brièveté apparaît au premier abord, en effet, comme une chose trop objective, trop matérielle pour juger de la qualité littéraire, qui comme le traduit l'affirmation de Reverdy est une chose qui pose généralement problème, et qu'on apparente souvent à un mystère.
[...] C'est que, comme l'explique Roland Barthes dans L'effet de réel, chaque élément avancé doit être utile au déroulement de l'intrigue. Tout doit être motivé. Ainsi, le peu d'objets qui apparaissent dans le roman trouve sa place dans la chaîne de motivation (par exemple le petit portrait de la princesse). C'est en cela que Barthes oppose l'esthétique classique à l'esthétique réaliste. En effet, la longueur du roman réaliste s'explique par son fonctionnement fondamentalement opposé : Le réalisme est, d'après la définition qu'en donne Barthes, tout discours qui accepte les énonciations créditées sur le seul référent et par conséquent, le réalisme multiplie les éléments inutiles à l'image d'un baromètre dans Madame Bovary de Flaubert (qui ne sera pas regardé une seule fois dans le roman) et d'une petite porte chez Michelet (par laquelle personne ne passera) et qui sont devenus célèbres parmi la profusion d'objets qu'on peut trouver dans les romans réalistes, car ils ont été repérés par Barthes dans son article. [...]
[...] Discours à Monsieur de Le Duc de La Rochefoucauld (Fables, La Fontaine Sujet : Dans son Discours à Monsieur de Le Duc de La Rochefoucauld (Fables, La Fontaine écrit : Mais les ouvrages les plus courts / sont toujours les meilleurs.» Que pensez-vous de cette affirmation ? Vous répondrez à cette question en étayant votre argumentation d'exemples précis, empruntés à toutes les formes de productions littéraires que vous jugerez appropriées et à toutes les époques de la littérature. On sait à peu près pourquoi une œuvre est mauvaise mais bien moins pourquoi elle est bonne déclare Pierre Reverdy. [...]
[...] Le propos de La Fontaine se place finalement au croisement de ces deux perspectives. Il prend donc part dans un débat continuel et qui était d'ailleurs présent déjà aux origines de la littérature. Dans ce sens, son jugement est évidemment polémique et incontestable. C'est une affaire de goût, la revendication d'un idéal esthétique. Cependant, on peut dire que le critère de la longueur d'un texte est quant à lui incontestable, en ce qu'il permet de comprendre le fonctionnement particulier de chaque ouvrage, toujours témoin d'un idéal qui n'est jamais le même. [...]
[...] C'est, en effet, moins le sujet que son traitement qui séduit, puisqu'il puise dans les fables d'Esope ainsi que dans les contes animaliers de Panchatantra (bien qu'il y ait toujours dans les Fables, un décalage recherché avec les sources). L'important est donc davantage la manière que la matière. Et, les Fables témoignent d'une grande recherche formelle dans la construction, le rythme, la prosodie, le style gracieux. La brièveté ne peut ennuyer le lecteur, la légèreté doit lui plaire, et la fable, l'instruire. [...]
[...] La question est transgénérique, et il est intéressant d'observer que la brièveté comme la longueur ne sont pas toujours exigées pour les mêmes raisons. Finalement, à travers cette simple affirmation : les ouvrages les plus courts / sont toujours les meilleurs La Fontaine s'inscrit dans un genre, une esthétique, et nous donne sa vision de la littérature. Car, cette simple question, presque matérielle, de la longueur du texte, apparaît très significative quand on confronte les genres, les époques, les mouvements, de ce point de vue. La longueur ou la brièveté n'est pas une simple donnée matérielle mais conditionne le fonctionnement profond du texte. [...]
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