Commentaire composé d'un extrait célèbre du Supplément au voyage de Bougainville de Diderot.
[...] Poursuis jusqu'où tu voudras ce que tu appelles les commodités de la vie; mais permets à des êtres sensés de s'arrêter, lorsqu'ils n'auraient à obtenir, de la continuité de leurs pénibles efforts, que des biens imaginaires. Si tu nous persuades de franchir l'étroite limite du besoin, quand finirons-nous de travailler? Quand jouirons-nous? Nous avons rendu la somme de nos fatigues annuelles et journalières la moindre qu'il était possible, parce que rien ne nous paraît préférable au repos. Va dans ta contrée t'agiter, te tourmenter tant que tu voudras; laisse-nous reposer: ne nous entête ni de tes besoins factices, ni de tes vertus chimériques. (Diderot, Supplément au voyage de Bougainville). [...]
[...] Toi qui entends la langue de ces hommes-là, dis-nous à tous, comme tu me l'as dit à moi, ce qu'ils ont écrit sur cette lame de métal: Ce pays est à nous. Ce pays est à toi! Et pourquoi? Parce que tu y as mis le pied? Si un Tahitien débarquait un jour sur vos côtes, et qu'il gravât sur une de vos pierres ou sur l'écorce d'un de vos arbres: Ce pays appartient aux habitants de Tahiti, qu'en penserais-tu? [...]
[...] D'un côté, on s'adresse aux Tahitiens et de l'autre côté, il parle directement au navigateur Bougainville. Quels sont les éléments qui appuient cet effet ? Regardons par exemple le jeu d'opposition entre vous et eux dans le premier paragraphe : un jour vous les connaîtriez mieux aussi malheureux qu'eux Par contre, dans le second paragraphe, c'est un jeu entre le nous et le tu désignant le chef des brigands L'opposition a lieu dans et toi, chef des brigands qui t'obéissent nous sommes innocents nous sommes heureux tu ne peux nuire à notre bonheur En ce qui concerne les figures de style, il est loisible de constater des symétries et chiasmes : elles sont devenues folles dan tes bras ; tu es devenu féroce entre les leurs Le chiasme permet alors d'appuyer l'opposition entre les Tahitiens et les colons. [...]
[...] Puis s'adressant à Bougainville, il ajouta: "Et toi, chef des brigands qui t'obéissent, écarte promptement ton vaisseau de notre rive: nous sommes innocents, nous sommes heureux; et tu ne peux que nuire à notre bonheur. Nous suivons le pur instinct de la nature; et tu as tenté d'effacer de nos âmes son caractère. Ici tout est à tous; et tu nous as prêché je ne sais quelle distinction du tien et du mien. Nos filles et nos femmes nous sont communes; tu as partagé ce privilège avec nous; et tu es venu allumer en elles des fureurs inconnues. [...]
[...] Dès la première ligne, le lecteur s'attend donc à découvrir la critique de ce personnage et de son peuple en général. Effectivement, le tahitien développe ensuite de nombreux arguments contre leurs envahisseurs Il dénonce d'abord leurs idées et leur philosophie : ils défendent en effet la distinction du tien et du mien ce qui en totalement en opposition avec la façon de penser des bons sauvages car ici, tout est à tous Puis, il passe à l'énumération des violences qu'ont subies leurs filles et leurs femmes On peut remarquer le champ lexical de la malveillance venger asservir tourmenter nuire et celui de la violence sang féroce fureurs folles Afin de renforcer son argumentation, il pose de nombreuses questions rhétoriques dont les réponses sont évidemment au désavantage des navigateurs : qui est-tu donc pour faire des esclaves ? [...]
Source aux normes APA
Pour votre bibliographieLecture en ligne
avec notre liseuse dédiée !Contenu vérifié
par notre comité de lecture