La contestation, qu'elle soit politique, sociale ou philosophique, traverse le XVIIIème siècle et les oeuvres des auteurs des Lumières. Chez Diderot, elle s'incarne singulièrement dans la fiction et sur le mode de la conversation (correspondance, dialogues, théâtre), plutôt que dans une abstraite argumentation directe. Jacques le fataliste ne fait pas exception à ce goût de Diderot, et signale aussi l'importance du comique chez le maître d'oeuvre de la sérieuse Encyclopédie. Plus de deux décennies seront consacrées à l'une comme à l'autre oeuvre.
Bien des passages du roman font sourire le lecteur et à coup sûr son auteur, notamment le récit des amours de Jacques, drôle en lui-même et interrompu avec constance et jubilation par le narrateur. Vers la fin du roman, les deux voyageurs atteignent enfin le village où le maître va retrouver l'enfant qu'il a dû reconnaître. Jacques choisit ce moment où le maître descend de cheval pour lui faire une plaisanterie : il a trafiqué les courroies et se sert de la chute de son maître comme d'une illustration à sa conception de la fatalité.
Quel est le sens de cette plaisanterie, et quel regard Diderot porte-t-il sur l'intention pédagogique de Jacques ?
Pour répondre à ces questions, nous étudierons d'abord le récit comique de cette plaisanterie faite par le valet à son maître. Nous verrons ensuite que le narrateur relativise l'exploitation pédagogique qu'en fait Jacques. Diderot manifeste ici un pragmatisme éclairé dans la contestation sociale et philosophique.
I. Le récit comique d'une plaisanterie entre un maître et son valet
1) La plaisanterie de Jacques et sa signification
- La plaisanterie de Jacques se fait en deux temps : d'abord il a occasionné la chute de cheval de son maître (l.2-3) puis s'en moque : l.7 "Le grand malheur !" avec antiphrase comique, et l.10-16 quand il ne cesse de rire lors de la poursuite ; ensuite Jacques avoue que tout était "prémédité" par lui (l.19-35). La chute du maître est comme vue au ralenti, dans la décomposition du mouvement que mime la 1ère phrase : la place des virgules et l'emboîtement des subordonnées (relative puis temporelle) focalisent l'attention sur chaque étape, avec même le suspens de la chute ("allait s'étendre rudement par terre, // si son valet ne l'eût reçu", l.3). Le comique de geste s'ajoute à la "mécanique plaquée sur du vivant" dont parle Bergson : le maître est réduit à l'état d'objet (...)
[...] D'objet, il devient jouet, dans l'explication que donne Jacques plus loin : marionnette et polichinelle l.20. - Cette chute rappelle que le maître a déjà perdu son cheval, volé pendant son sommeil. Ici la symbolique est très claire : en tombant de cheval, le maître perd son identité de maître, et de maître de cavalerie, son attribut de noble, et donc les privilèges qui s'y rattachent. Par cet événement, le rapport maître-valet s'inverse, au détriment du maître ; le valet apparaît indispensable : c'est lui qui évite au maître la blessure ou l'humiliation complète de toucher le sol (cf. [...]
[...] Cette attention à son bien-être est la même concernant la gourde, et le maître ne semble pas avoir retenu la leçon (ce qui est le cas pour Iphicrate pourtant). - Diderot ne souhaite pas une inversion des pouvoirs ni la brutalité, mais l'égalité entre maître et valet. Il s'est agi pour lui de rabaisser un peu le maître, et de mettre Jacques en valeur mais en nuançant aussi son pouvoir : dans l'expérience pédagogique elle-même par son trop-plein de fierté, et par le retour à la normale de la fin du texte. [...]
[...] - À merveille ! le maître. - Tu es un dangereux vaurien. jacques. - Dites, grâce à mon capitaine qui se fit un jour un pareil passe-temps à mes dépens, que je suis un subtil raisonneur. le maître. - Si pourtant je m'étais blessé ? jacques. [...]
[...] Jacques choisit ce moment où le maître descend de cheval pour lui faire une plaisanterie : il a trafiqué les courroies et se sert de la chute de son maître comme d'une illustration à sa conception de la fatalité. Quel est le sens de cette plaisanterie, et quel regard Diderot porte- t-il sur l'intention pédagogique de Jacques ? Pour répondre à ces questions, nous étudierons d'abord le récit comique de cette plaisanterie faite par le valet à son maître. Nous verrons ensuite que le narrateur relativise l'exploitation pédagogique qu'en fait Jacques. Diderot manifeste ici un pragmatisme éclairé dans la contestation sociale et philosophique. I. [...]
[...] Commentaire de Jacques le fataliste et son maître de Diderot (1796) : la plaisanterie de Jacques TEXTE : Ils descendent de cheval, Jacques le premier et se présentant avec célérité à la botte de son maître, qui n'eut pas plus tôt posé le pied sur l'étrier, que les courroies se détachent et que mon cavalier renversé en arrière, allait s'étendre rudement par terre, si son valet ne l'eût reçu entre ses bras. le maître. - Eh bien, Jacques, voilà comme tu me soignes ! Que s'en est- il fallu que je me sois enfoncé un côté, cassé le bras, fendu la tête, peut- être tué ? jacques. - Le grand malheur ! le maître. - Que dis-tu, maroufle ? [...]
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