[...] entre 1668 et 1693, ont été publiées les Fables de La Fontaine en deux recueils. Dans celles-ci, de nombreux apologues inspirés d'Ésope tirent les leçons de cette observation sociale.
Le premier recueil contient six livres. Le bestiaire et l'imaginaire du fabuliste y sont très présents, alors que dans le second recueil, les fables s'orienteront vers une réflexion plus sérieuse et sentencieuse.
La fable 4 du livre II, "Les deux Taureaux et une Grenouille", fait partie du premier recueil. La fable de Phèdre, « La Grenouille prudente », a servi de modèle à ce texte, mais le combat des taureaux pour illustrer les ardeurs de l'amour s'est inspiré de Virgile (Géorgiques, livre III). Racontant la crainte d'une grenouille face au combat de deux taureaux pour une génisse, elle permet au fabuliste d'illustrer la soumission du peuple aux abus de la royauté et de la noblesse.
I- L'art du récit et de la versification
a- L'art du récit
Des animaux opposés
La fable met en présence des animaux opposant « faibles » et « puissants » avec des relations de pouvoir, afin que la morale explicite prenne tout son sens. On observe ainsi un système hiérarchique avec :
- des animaux « forts » : les deux Taureaux et la Génisse. De nombreux verbes forts d'action soulignent la détention du pouvoir : combattaient (vers 1), chassant (vers 8), fera renoncer (vers 9) et surtout écrasait (vers 18). De plus, ces animaux semblent incarner l'ordre et la supériorité, comme le suggère l'expression Viendra ... régner (vers 11). (...)
[...] Cette volonté didactique se trouve cristallisée explicitement dans la morale qui occupe les deux derniers vers : Hélas ! on voit que de tout temps / Les petits ont pâti des sottises des grands. Simple constat exprimant le regret du fabuliste que l'interjection Hélas ! souligne, elle est mise en valeur du point de vue formel par un changement des temps verbaux et des repères énonciatifs : de l'imparfait et du passé simple, on passe au présent de vérité générale (voit, vers 19) ; l'emploi du pronom on (à l'adresse du lecteur) et les pluriels (Les petits, sottises et grands) lui confèrant une valeur d'intemporalité. [...]
[...] C'est ainsi que l'interjection prend toute sa signification et montre le caractère inéluctable de la souffrance des petits par la faute des sottises des grands, une souffrance qui semble dès lors faire partie du tragique de la nature humaine. Conclusion On retrouve dans cette fable l'expression de l'idéal classique qui semble tout naturellement porté par l'apologue : instruire et plaire En mettant en scène des animaux communs dans un cadre naturel et par une écriture variée par la métrique utilisée, les rimes et les formes de discours, La Fontaine constate avec résignation certains excès de la société du XVIIe siècle et la soumission du peuple. [...]
[...] Les deux Taureaux et une Grenouille Recueil : parution en 1668. Livre : II. Fable : composée de 20 vers. Deux Taureaux combattaient à qui posséderait Une Génisse avec l'empire. Une Grenouille en soupirait. Qu'avez-vous ? se mit à lui dire 5 Quelqu'un du peuple croassant Et ne voyez-vous pas, dit-elle, Que la fin de cette querelle Sera l'exil de l'un ; que l'autre, le chassant, Le fera renoncer aux campagnes fleuries ? 10 Il ne régnera plus sur l'herbe des prairies, Viendra dans nos marais régner sur les roseaux, Et nous foulant aux pieds jusques au fond des eaux, Tantôt l'une, et puis l'autre, il faudra qu'on pâtisse Du combat qu'a causé Madame la Génisse. [...]
[...] Ainsi, la personnification des animaux relève : - des lettres majuscules (Taureaux et Grenouille, titre ; Génisse, vers 2). La personnification la plus développée apparaît dans la gratification de la génisse du titre de Madame la Génisse (vers 14) par la grenouille, et ce d'autant qu'elle conclut le discours direct de cette dernière. - des traits de caractère humains de la grenouille. En effet, elle soupire (Une Grenouille en soupirait, vers et fait preuve de bon sens (Cette crainte était de bon sens, vers 15). [...]
[...] Les rimes sont irrégulières et La Fontaine utilise toutes les rimes à sa disposition dans le désordre (croisées, embrassées et plates). Cette diversité de sonorités libère l'écriture de toute monotonie afin de rendre la fable plus agréable et accessible. Enfin, on retrouve des rimes pauvres (elle et querelle, vers 6 et suffisantes (empire et dire, vers 2 et on encore riches (croassant et chassant, vers 5 et construction qui s'oppose à toute rigidité ou répétition de l'écriture. - l'alternance entre le récit et le discours direct est elle aussi essentielle pour donner du rythme à la fable. [...]
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