"Le déshonneur des poètes", Benjamin Péret (1945) - "c’est à lui (au poète) de prononcer les paroles toujours sacrilèges et les blasphèmes permanents... "

Résumé du document

Dans son ouvrage "Le déshonneur des poètes", Benjamin Péret se fait le défenseur d'une certaine conception de la poésie : une poésie libertaire, libre et révolutionnaire. Non pas que la poésie dût être vide d'idées et de révoltes, à ce titre la révolte contre le triste occupant de 1940 n'est pas coupable.

Pour Benjamin Péret la poésie se doit « de prononcer les paroles toujours sacrilèges et les blasphèmes permanents » sans jamais « entretenir chez autrui une illusoire espérance humaine ou céleste, ni à désarmer les esprits en leur insufflant une confiance sans limites en un père ou un chef contre qui toute critique devient sacrilège. ». Cette conception de la poésie est celle d'une poésie libertaire, profondément révolutionnaire, postulat nécessaire et obligatoire à son véritable but : dévoiler la vérité des passions, la vérité des hommes, la vérité du monde.

En quoi, tel Janus, le dieu aux deux visages, la poésie engagée serait-elle perversion pour Benjamin Péret ?

Extraits

[...] Ceci donc met en relief la définition de l'engagement : le poète met son art au service d'une cause qui souvent s'ancre dans un contexte historique précis, il invite à la réflexion ou à l'action : on parle alors de poésie engagée. Mais l'engagement a ici un autre sens pour le poète libertarien et révolutionnaire qu'est Benjamin Péret : l'asservissement et l'idéologie liberticide du poète. Dans cette optique, la poésie engagée prend les allures de véritable perversion de l'essence de la poésie. Poésie et poésie engagée sont donc une parfaite antithèse. La liberté semble donc être la substantifique moelle de la poésie. La perversion de la poésie engagée se situe donc dans l'asservissement du poète. [...]

[...] En effet, poésie et révolte ne sont pas antinomiques, Victor Hugo dans les Orientales fustige le massacre de Chio, car si la poésie est l'expression des sentiments, la haine fait partie de la nature humaine : la poésie doit prononcer les paroles toujours sacrilèges et les blasphèmes permanents. Où se trouve alors la singularité de cette poésie engagée si ce n'est dans la révolte prônée ? Assurément c'est dans l'absence de liberté selon Le Déshonneur des poètes que se trouve la spécificité de la poésie engagée. [...]

[...] Enfin, la question de l'objectivité de la poésie dans son dévoilement se pose. Nous n'acceptons pas les lois de l'économie ou de l'échange, nous n'acceptons pas l'esclavage du travail et dans un domaine encore plus large, nous nous déclarons en insurrection contre l'Histoire. (La révolution d'abord et toujours, André Breton). Souvent présenté comme un courant artistique enfermé dans une tour d'ivoire, le surréalisme n'en demeure pas moins anticonformiste, anticapitaliste et marginal. Pourtant ce courant présenté en partie comme poésie semble présenter une certaine forme d'engagement. [...]

[...] Parce que le poète sombre dans l'idéologie, il se coupe de l'universelle vérité du monde pour choir dans la partialité et l'instrumentalisation d'une réalité distordue. Parce qu'il n'est plus capable de contempler librement la réalité, le poète s'aveugle de préjugés oubliant ainsi la révolution permanente qu'incarne la poésie. L'Ode à Staline d'Eluard montre cette cécité, incapable de différencier le petit père des peuples du plus grand meurtrier du XXe siècle. Il semble donc que ce soit l'asservissement du poète à une idéologie qui engendre la distorsion du réel. [...]

[...] Cette constellation d'artistes ayant pour but premier la libération du désir en inventant des techniques visant à reproduire les mécanismes du rêve, de l'inconscient pour obtenir une même vérité mêlant conscient et inconscient comme dans le tableau de Giorgio De Chirico, Portrait prémonitoire de Guillaume Apollinaire portrait numismatique et condensé de rêves à significations multiples. Pourtant comme tout corps céleste plongé dans l'Éther éternel, il connait des secousses et des scissions violentes qui rythment sa course et redéfinissent sa trajectoire. Le courant surréaliste a souvent connu des luttes internes au cours de son histoire. [...]