Dino Buzzati, "Le désert des Tartares", Chapitre XI, Extrait : commentaire

Résumé du document

Dino Buzzati (1906-1972) est un journaliste, un peintre et un écrivain italien auteur de romans, de nouvelles, de chroniques et de pièces de théâtre. Très marqué par la montée des idéologies, cet auteur engagé, proche des existentialistes, s'interroge aussi sur l'absurdité de la condition humaine. C'est du reste Albert Camus qui l'a fait connaître en France en adaptant une de ses pièces, Un Cas intéressant, jouée à Paris en 1956. Le Désert des Tartares, publié en 1940, est son roman le plus connu. Dans ce récit, un jeune lieutenant, Giovanni Drogo, est affecté dans un vieux fort isolé, sur la frontière du nord. Il espère y trouver la gloire.
Dans cet extrait du début du chapitre XI, le narrateur s'interroge sur la fuite du temps ; il est un peu la conscience que le jeune homme n'a pas, alors que celui-ci est installé dans la routine militaire quotidienne du fort depuis près de deux ans.
Ce passage semble à l'image de ce qui attend Drogo dans tout le roman (...)

Extraits

[...] La reprise litanique de l'expression vingt-deux mois confirme l'absurdité de l'attente de Drogo. Conclusion : Ce passage met donc en parallèle le rôle du temps sur l'existence et la résolution du héros, déterminé à attendre, indifférent à celui-ci. Mais la narration suggère déjà la victoire du temps sur lui également. La passivité de Drogo peut, à ce moment du récit, laisser penser que le personnage va réagir et évoluer, qu'il va finir par prendre conscience que son attente est plus absurde encore que la vie commune qui est présentée dans ces paragraphes. [...]

[...] Le premier paragraphe ne fait que trois phrases, mais la troisième est très longue. Les procédés d'accumulation et figures de symétrie, notamment les anaphores, les parallélismes, manifestent à la fois la dérision et la résignation, à travers un langage réaliste où n'apparaît aucune image. Ainsi la vie est présentée comme incompréhensible et absurde, ce que soulignent les nombreuses oppositions, qui peuvent d'une certaine manière permettre de comprendre le sentiment de Drogo, et sa quête. II - Un héros passif et solitaire qui semble indifférent au temps : 1. [...]

[...] ce qui apparaît comme un paradoxe La manifestation de l'attente : on peut alors parler d'une sorte de manifestation de l'attente, avec un récit à la forme impersonnelle qui la traduit assez bien, un héros passif, couché, qui n'est jamais sujet des verbes, excepté du premier, dormait Drogo refuse de vivre le temps qui lui est donné de vivre, ce que souligne l'opposition entre son mode de vie et celui de tout un chacun, décrit dans la troisième phrase du second paragraphe. Drogo semble indifférent à tout cela, indifférent au temps. [...]

[...] Drogo devient minéral, comme le fort, qui semble symboliquement le protéger du temps, mais le temps peu à peu lime, rogne, lézarde, consume Ces métaphores et ces personnifications indiquent pourtant que le temps est le véritable ennemi de Drogo, celui qui va l'entraîner dans sa chute : on peut songer à Sisyphe. Enfin l'expression L'existence de Drogo s'était comme arrêtée possède un caractère prémonitoire. Cette image est paradoxale parce qu'elle évoque la mort, mais l'emploi de comme suggère une illusion ; du reste, la phrase suivante, avec l'expression s'était répétée des centaines de fois suggère un temps cyclique, mais qui passe tout de même. [...]

[...] I - Une réflexion existentielle sur le temps : 1. le temps acteur : à l'image du roman, le temps est un véritable acteur dans ce récit, l'acteur principal. La métaphore du fleuve dans le second paragraphe, insiste sur l'usure continue, insidieuse et la fuite du temps. Il y a ainsi un important lexique du temps, en effet le mot est utilisé quatre fois dans ce passage et les expressions qui le désignent sont nombreuses, mais n'ont pas la même valeur ; certaines, comme presque deux ans plus tard vingt-deux mois évoquent la durée ; d'autres, ainsi de une nuit renvoient à un temps bref, événementiel, enfin des tournures comme la même journée indiquent une action répétitive, le caractère itératif du temps, celui qui concerne Drogo. [...]