"C'était à peine français; l'auteur parlait nègre, procédait par un langage de télégramme, abusait des suppressions de verbes, affectait une gouaillerie, se livrait à des quolibets de commis-voyageur insupportable, puis tout à coup, dans ce fouillis, se tortillaient des concetti falots, des minauderies interlopes, et soudain jaillissait un cri de douleur aiguë, comme une corde de violoncelle qui se brise", déclare des Esseintes (Huysmans, A rebours) à propos des Amours jaunes de T. Corbière. Contrairement aux apparences, ce jugement est tout sauf une condamnation de la part de ce fervent admirateur de Mallarmé; pourtant, au premier abord, quoi de plus éloigné des images suaves et sibyllines de l'Après-midi d'un faune? S'il fallait établir un parallèle avec notre extrait, ce serait sur le thème de l'hermétisme: comment s'assurer de la pleine compréhension de « Décourageux », au regard des formules triviales et énigmatiques, du rythme heurté, de la véritable esthétique du paradoxe que semble développer ce poème? Mais peut-être touchons-nous là sans le savoir le coeur de la composition: ce jeu sur la forme et l'image impose, semble-t-il, un idéal concurrent à celui du romantisme - en d'autres termes, à travers une authentique déconstruction de l'écriture, Corbière nous livrerait ici une oeuvre profondément personnelle. Ainsi, nous nous attacherons à examiner en quoi « Décourageux », épitaphe fantaisiste, présente en creux un ars poetica caractérisé par la frivolité mais aussi par le rejet d'une humanité déliquescente. Il conviendra ainsi d'élucider, dans un premier temps, le fascinant mystère de ces vers si désarçonnants; cela nous mènera à dégager de l'extrait un art poétique propre à Corbière.
[...] 16) – littéralement far niente. Cette dimension grotesque, ce comique par la dérision et l'absurde se retrouvent tout au long du poème : penchons nous sur la huitième strophe. La Muse y gagne la légèreté d'un oiseau (« aile », v ; « plume d'oie », v. 27) – cela est d'ailleurs explicite au regard des rimes : « -oie » « –seau », « -oie » « -ceau ». Pourtant l'image de la plume est bien vite corrigée par « des poils à gratter » (v. [...]
[...] Cela reste obscur. En somme, nous ne pouvons que conclure que Corbière rejette ici tout carcan poétique, toute forme sclérosante aux cadences rebattues; corrélativement, cela laisse présager des images surprenantes. C'est en effet une véritable esthétique du paradoxe que développe ici le poète : que penser, par exemple, du premier vers : « Ce fut un vrai poète : Il n'avait pas de chant. » ? Rupture à l'hémistiche d'autant plus soulignée que Corbière use de la majuscule, comme si deux versus étaient apposés l'un à l'autre Et il en va de même pour la totalité du premier quatrain. [...]
[...] « Le Décourageux », les Amour Jaunes, T. Corbière "C'était à peine français; l'auteur parlait nègre, procédait par un langage de télégramme, abusait des suppressions de verbes, affectait une gouaillerie, se livrait à des quolibets de commis-voyageur insupportable, puis tout à coup, dans ce fouillis, se tortillaient des concetti falots, des minauderies interlopes, et soudain jaillissait un cri de douleur aiguë, comme une corde de violoncelle qui se brise", déclare des Esseintes (Huysmans, A rebours) à propos des Amours jaunes de T. [...]
[...] voire un « vitrier » (v. 31) Nous pourrions y voir une forme dégénérée de la théorie des correspondances de Baudelaire, n'eût été l'omniprésence du négatif. Bref, quelle que soit l'image donnée du poète dans le premier hémistiche, le second la détruit – autrement dit, l'importance du paradoxe découle d'une dialectique positif / négatif intérieure à chaque vers, ou presque. Mais le lecteur n'est pas au bout de ses peines : une lecture verticale du poème produit également des échos remarquables. [...]
[...] Peut-être faut-il y voir une tentative de lier intimement ces deux types de strophe? Quoi qu'il en soit, si une logique dans la forme du poème peut être confusément saisie ( un quatrain / quatre tercets, un axe de symétrie symbolisé par l'apparition du discours direct, quatre quatrains / un tercet), le rythme de celui-ci reste profondément original. Du reste, cette excentricité se retrouve à plus petite échelle: que penser de ces tirets qui déplacent et contrarient la césure: « Il voyait trop - Et voir est un aveuglement » (v. [...]
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