Ce texte génialement bizarre et prophétique est extrait du Discours sur la poésie dramatique (au chapitre XVIII), imprimé en 1758 avec Le Père de Famille. Cette dissertation comporte d'abord une étude minutieuse des genres dramatiques ; puis au chapitre XVIII, intitulé "Des moeurs", Diderot rattache chaque genre à un état social particulier (ces idées réapparaîtront dans la Préface de Cromwell), avant d'examiner les conditions les plus favorables à l'inspiration et à l'épanouissement de la poésie dramatique.
Considérée dans ses grandes lignes, la démonstration est claire. Diderot part d'un postulat : « Plus un peuple est civilisé, poli, moins ses moeurs sont poétiques ». Les temps primitifs et barbares sont donc les plus propices à l'éclosion du lyrisme. Par conséquent, il faut souhaiter le retour de telles conditions si l'on veut renouveler la poésie moribonde. Mais avec Diderot rien n'est simple : la confusion d'une telle page n'est pas moins frappante que sa richesse ; cette prose effervescente pèche par un décousu fréquent chez notre écrivain et qu'accroît ici la fulgurance prophétique de formules exaltées.
I. Composition
Une construction tripartite apparaît immédiatement :
I. Un premier mouvement étudie les rapports entre nature et poésie ; se fondant sur la thèse (précédemment énoncée) que les raffinements de la civilisation tuent la poésie, l'auteur remet en cause l'attitude de toute une époque (XVIIe et XVIIIe siècles) vis-à-vis de la littérature et même de l'art en général, puis dégage une affirmation majeure : c'est le désordre qui crée les poètes.
II. Un second mouvement analyse les relations entre poésie et désordre social : la grande poésie naît des troubles et non de la paix lénifiante et décadente. Cette prise de position est neuve, qui fonde l'inspiration lyrique sur l'excès, la passion, la sensibilité, et non plus sur la technique artisanale du bon ouvrier dont le métier est « de faire un livre comme de faire une pendule » (La Bruyère : Les Caractères 1,3) (...)
[...] Diderot ne songe ici qu'à l'épopée et au drame. La prise de position est expressément dirigée contre la poésie légère ou sentimentale (chanson, élégie) alors à la mode. L'écrivain ne réclame nullement une poésie guerrière ; il se contente de dire que, par une sorte de déterminisme littéraire, certains faits ou temps historiques surexcitent la création poétique, tandis que l'engourdissement d'un régime politique sans crises et d'un confort social sans dangers en provoque la décadence. Constat de décès de la poésie au XVIIIe siècle, appel au secours, illumination prophétique, cette page s'insurge avec flamme contre toute poésie vidée de substance, stéréotypée, momifiée, qui, par excès de confort et de conformisme, s'enlise dans l'académisme mortel (c'est le mauvais côté du Mondain de Voltaire). [...]
[...] Le second mouvement annonce, non sans exaltation, des temps propices à la poésie ; mais, puisque ce sont les temps de désastres qui produisent les poètes, prévoir ce renouveau après la carence de la poésie contemporaine, c'est aussi, hélas, prophétiser de grands malheurs. Emporté par son enthousiasme, Diderot ne semble pas les redouter. II. Les sources de l'inspiration poétique. La création poétique est associée par Diderot à la nature pure, envisagée soit dans son originalité brute (une antique forêt, une roche déserte, une cataracte) soit dans le paroxysme de ses déchaînements (troublée ; puis nuit obscure, sifflement . [...]
[...] Diderot, De la poésie dramatique Ce texte génialement bizarre et prophétique est extrait du Discours sur la poésie dramatique (au chapitre XVIII), imprimé en 1758 avec Le Père de Famille. Cette dissertation comporte d'abord une étude minutieuse des genres dramatiques; puis au chapitre XVIII, intitulé Des mœurs, Diderot rattache chaque genre à un état social particulier (ces idées réapparaîtront dans la Préface de Cromwell), avant d'examiner les conditions les plus favorables à l'inspiration et à l'épanouissement de la poésie dramatique. [...]
[...] tous les détails peignant le déchaînement des forces naturelles). On relèvera l'équivoque introduite par l'image du laurier d'Apollon ; car cette conception d'une poésie de terreur, de mystère et de frénésie, est beaucoup plus dionysiaque qu'apollinienne ; mais Diderot songe peut-être aux transports de la Pythie. Son élan s'oriente du reste non vers le lyrisme individuel, mais vers les grands genres collectifs (théâtre, épopée, poésie politique). Si donc le génie naît de la passion et des forces obscures grâce à l'inépuisable fécondité de la nature, encore convient-il de lui lâcher les rênes et de délivrer l'enthousiasme créateur ; cette théorie libertaire de l'art est entièrement neuve en son temps. [...]
[...] La critique de Diderot vise les mœurs, le goût, l'art de son époque ainsi que sa poésie (pour cette dernière, d'ailleurs, surtout dans la fin du même chapitre XVIII) : est-elle bien équitable ? Évidemment non. Ce temps fut capable de sensibilité : c'est un mot alors fort à la mode ; il a le goût des passions fortes et des orages sentimentaux comme en témoignent les romans de l'Abbé Prévost. Ces sentiments nouveaux, dont on peut suivre tout au long de cette période la progression tant dans les correspondances particulières que dans les ouvrages littéraires (passion, violence, nature sauvage, montagne ; roman noir drames de Shakespeare, poésies d'Ossian, etc.) n'avaient en revanche pas encore trouvé un moyen d'expression vraiment fécond. [...]
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