Au lendemain de la Première Guerre mondiale, lʼEurope dévastée doit se reconstruire. Les dégâts sont dʼabord matériels bien sûr, mais la désillusion est intellectuelle. Comment reconsidérer lʼévolution de lʼêtre humain dans le monde après lʼavoir vu rétrograder à un tel degrés d'atrocité ? Cʼest bien la question que se pose Paul Valéry lorsquʼil publie en 1919 un ensemble de lettres regroupées sous le titre de La crise de lʼesprit.
[...] Ce passage est plus obscur, plus dangereux que le passage de la paix à la guerre; tous les peuples en sont troublés. Et moi, se dit-il, moi, l'intellect européen, que vais-je devenir ? Et qu'est-ce que la paix ? La paix est, peut-être, l'état de choses dans lequel l'hostilité naturelle des hommes entre eux se manifeste par des créations, au lieu de se traduire par des destructions comme fait la guerre. C'est le temps d'une concurrence créatrice, et de la lutte des productions. [...]
[...] Mais Moi, ne suis-je pas fatigué de produire ? N'ai-je pas épuisé le désir des tentatives extrêmes et n'ai-je pas abusé des savants mélanges ? Faut-il laisser de côté mes devoirs difficiles et mes ambitions transcendantes ? Dois-je suivre le mouvement et faire comme Polonius, qui dirige maintenant un grand journal ? comme Laertes, qui est quelque part dans l'aviation? comme Rosencrantz, qui fait je ne sais quoi sous un nom russe ? [...]
[...] Sachant cela, lʼHomme «chancelle entre deux abîmes»: la création et la passivité. Le passage à la paix le replonge dans une ère de «concurrence créatrice» qui devrait stimuler son intellect mais qui ne fait fait que le renvoyer à la lassitude que lui fait éprouver la vanité de son existence. Il est pourtant convaincu que paix est, peut-être, lʼétat des choses dans lequel lʼhostilité naturelle des hommes se manifeste par des créations, au lieu de se traduire par des destructions comme le faite la guerre» mais lʼutilisation de lʼitalique inscrit cette thèse dans une vérité générale impersonnelle et dogmatique qui le dépasse. [...]
[...] Mais tous ces lieux énoncés les uns à la suite des autres nʼont rien qui puisse les différencier. Ils ne stimulent pas dans leur particularité lʼHomme ou cet «intellect européen» personnifié par le personnage dʼHamlet. Ce dernier erre dans un espace où tout se ressemble et où rien nʼapparait, il nʼy a que «des millions de spectres» qui ne sont que les souvenirs dʼun savoir hypothétique et impersonnel. Lʼutilisation du présent accentue cette idée dʼerrance tandis que le passé simple rend caduc les références aux savants et aux philosophes : «fut Lionardo», «fut Kant». [...]
[...] Pourtant, le lecteur sait quʼHamlet est bien un esprit lucide qui évolue dans un monde dʼoù nʼémane que la folie de la destruction. Il est une intelligence «affreusement clairvoyant(e)» qui sait «lʼennui de recommencer le passé» et folie de vouloir innover toujours». Il erre alors dans l'incertitude. ! La première Guerre Mondiale a en effet fait réaliser à lʼintellect européen que les découvertes, les avancées techniques qui ont à la base pour objectif le confort humain et lʼallégement de la pénibilité finissaient détournées pour l'amener à son propre anéantissement. [...]
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